Frédéric Maffre: « Réussir un western sans faire parler la poudre »

« Stern » n’est pas un western comme les autres. Son personnage principal préfère en effet disserter sur Shakespeare plutôt que de dégainer un colt. Mêlé à un décès inhabituel, ce croque-mort atypique va mener avec brio sa première enquête.

Quelle a été votre réaction quand vous avez appris que Xavier Dorison et Ralph Meyer préparaient eux-aussi un western avec un croque-mort en personnage principal ?
Frédéric Maffre. On a flippé ! Nous avions proposé une première version en 2011, franchement perfectible et refusée à raison. Nous avons refondu le bébé et étions prêts à le proposer début 2013, plutôt confiants. Et alors qu’il est au festival d’Angoulême, Julien a appris qu’un projet similaire était déjà en chantier chez Dargaud, et pas vraiment par des auteurs inconnus. Julien a pu rencontrer Xavier et Ralph, pas plus ravis que nous de la situation (Xavier avait notamment connu ça quand son « Long John Silver » était sorti en même temps que le film français « L’île aux trésors »), mais ils nous ont encouragés et poussés à proposer malgré tout le projet chez Dargaud.

Quand vous avez lu « Undertaker » et découvert qu’il n’y avait aucune similitude, vous avez été rassuré ?

F.M. Nous n’avons même pas eu besoin de le lire : très rapidement nous avons échangé nos notes et croquis et nous avons vu la différence d’approche : « Undertaker » est un western tout ce qu’il y a de plus frontal alors que dès le début nous étions partis sur une optique plus décalée. À aucun moment nos choix ne se sont chevauchés, et quand j’ai vu l’album fini, il était amusant de voir à quel point les projets étaient finalement complémentaires.

Pourquoi deux équipes d’auteurs s’intéressent au croque-mort au même moment ? Est-ce une simple coïncidence ou le besoin de chercher des personnages peu exploités pour renouveler le genre ?

F.M. En tant que genre, le western n’est effectivement plus tout jeune, et il a connu énormément de phases et de mutations. Il est aussi devenu un sacré réservoir de codes et de figures que le public a fini par connaître d’instinct. Si je vous dis « croque-mort au Far West », vous allez avoir une image assez précise du personnage, ne serait-ce que grâce à la version de Morris et Goscinny dans Lucky Luke. C’est un archétype fort, à la fois très identifiable et en marge du genre, donc riche en potentiel. Xavier et Ralph ont dû parvenir aux mêmes conclusions, car je ne vois que la pure coïncidence pour expliquer un tel binôme entre nos albums. Les idées sont dans l’air…

Avant d’être un western, « Stern » est d’abord un polar. Quelles ont été vos influences pour nouer cette intrigue pleine de fausses pistes ?

F.M. Je suis un grand amateur de récits policiers, mais je me sens beaucoup plus proche de « The Wire » que des « Experts »: les personnages et les situations m’intéressent plus que la pure mécanique des indices et des révélations. C’était d’ailleurs ce dernier point qui pêchait dans la toute première version. Le choix d’une enquête pour ce premier album relevait d’un certain pragmatisme : une fois qu’on a choisi de s’intéresser à un croque-mort, il faut lui trouver quelque chose à faire, et de par sa profession, il est bien placé pour savoir si la mort de l’un de ses « clients » n’est pas naturelle. Le reste a été un enchainement somme toute logique, en faisant toujours attention à respecter les personnages et leurs motivations tout en ménageant quelques surprises au lecteur.

Plusieurs de vos personnages sont cultivés et leurs discussions évoquent « Moby Dick », Shakespeare ou Hugo…

F.M. Quand nous avons établi que « Stern » ne serait pas un pistolero, nous avons décidé d’aller jusqu’au bout du raisonnement en en faisant ce lecteur compulsif. Outre le fait que c’est un schéma guère fréquent dans un western, il pose aussi la question de la place de la culture dans cet univers rude où l’étude du pentamètre chez Shakespeare n’est pas forcément une priorité. Je suis moi-même un gros lecteur et un énorme cinéphage, donc l’attitude de Stern me parle, et renforce son caractère à part dans la société.

Dans ce premier tome, on sent une ville sous tension, mais les scènes de violence sont finalement assez rares. Là encore, on s’éloigne des clichés du western bourré d’action ?

F.M. C’était l’idée. Je n’irai pas vous faire croire que le Far West était une ère de calme et de tranquillité, mais le fermier moyen avait plus à craindre d’un hiver rigoureux que de tous les Jesse James du monde. Même le fameux règlement de comptes à OK Corral s’est joué en 30 secondes, et il s’agissait effectivement de prendre nos distances avec la fameuse légende de l’Ouest. Pour le coup, l’une de nos références a été « Un nommé Cable Hogue » de Sam Peckinpah, tourné juste après « La horde sauvage » et dans lequel il y a maximum cinq coups de feu. C’est une merveille un peu éclipsée par les films plus violents de son auteur, et la preuve que l’on peut réussir un western sans faire parler la poudre.

Pour ce premier scénario de BD, vous avez travaillé avec votre frère Julien. C’est l’idéal pour débuter ?

F.M. Tout dépend du frère que vous avez, mais d’après mon expérience, je recommande ! Nos visions sont en accord, nous nous faisons confiance et avons le même baromètre : accoucher d’un album que nous voudrions lire. Julien a toujours été doué pour le dessin, moi c’était des facilités avec les mots alors que je suis incapable de tenir un crayon. J’écris des scénarios depuis l’adolescence, le plus souvent pour le cinéma et sans guère tenir compte de leur budget, même si j’ai eu quelques retours positifs de professionnels. J’ai aussi quelques beaux navets sous le bras mais c’est comme ça qu’on apprend, et Julien ne m’aurait pas proposé de collaborer s’il n’avait pas cru en mes aptitudes. Auteur de bande dessinée, ça ne s’improvise pas !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)


 »Stern, tome 1. Le croque-mort, le clochard et l’assassin » par Julien et Frédéric Maffre. Dargaud. 13,99 euros.

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