Elizabeth Holleville : «Un univers angoissant»

Grâce à un récit fantastique qui séduira tous les fans de « Stranger Things », Elizabeth Holleville parle du nucléaire et de la pollution. « Immonde ! » prouve qu’un roman graphique peut traiter de sujets importants et intimes tout en déroulant une intrigue terriblement prenante.

Avez-vous l’impression qu’une nouvelle génération, peut-être moins nombriliste, est en train de donner un nouveau souffle à la bd d’auteur?
Elizabeth Holleville. Je ne trouve pas que notre génération soit spécialement moins nombriliste que celle d’avant. De tous temps il y a eu des auteurs de bande dessinée pour se questionner sur des sujets comme l’écologie, le genre… Je pense notamment à la géniale BD « Gouines à suivre » d’Alison Bechdel, à « Locas » de Jaime Hernandez ou encore à la série « Aldebaran » dont je suis une grande fan.

On pense forcément à « Strangers Things » mais vos références sont plus anciennes?
E.H.
Il y a totalement un côté « Stranger Things », série que j’ai beaucoup appréciée ! Mais aussi des références au cinéma de David Cronenberg, de Carpenter ainsi qu’aux livres de Stephen King.

« Immonde ! » se déroule dans les Vosges. Est-ce que la proximité du site d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure est fortuite?
E.H.
J’ai choisi le cadre des Vosges car je l’ai trouvé très cinématographique en le découvrant au cours de randonnées, quand j’habitais à Strasbourg. Ensuite, quand j’ai décidé de raconter une histoire autour de la pollution industrielle, je me suis renseignée sur les pollutions en France, au travers notamment du livre « L’Atlas de la France toxique ». Le site d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure faisait totalement partie de la liste, et j’ai été fascinée et inspirée par ce site et toute son architecture souterraine.

Vous montrez une vraie prise de conscience de la jeunesse face au désastre écologique laissé par leurs aînés. Est-ce un livre finalement optimiste?
E.H.
C’est vrai ! Je crois que je suis résolument optimiste. Même si je broie souvent du noir, j’ai tendance à penser qu’il y a toujours de l’espoir. En matière de désastre écologique par exemple, de se réunir et d’agir ensemble.

Comme dans le dernier « Ghostbusters », ce sont des adolescents qui vont partir à la recherche de la vérité. Pourquoi ce sont souvent des adolescents?
E.H.
Parce que j’aime cette étape de la vie où les émotions sont très intenses, comme poussées au maximum. C’est l’âge des premières amours, des premières prises de consciences politiques, l’âge aussi de la libération du carcan familial. Il y a donc plein de choses à raconter sur cette période de la vie !

Vous distillez de nombreux indices et entretenez le mystère avant la révélation finale. Est-ce que ce dosage est difficile à trouver?
E.H.
C’est un peu un casse-tête de distiller au compte-goutte les indices pour ne pas en dire trop, intriguer sans spoiler… Le dosage fait définitivement partie des éléments clefs pour ce type de récit, ainsi que de faire relire à un lecteur extérieur le storyboard avant de le dessiner. On pourra ainsi voir si ce qu’il déduit des éléments racontés concorde avec ce qu’on avait imaginé qu’il déduirait. Et ajuster tout ça avant de passer à l’étape du dessin des planches.

Dans le dernier chapitre, votre récit bascule dans l’horreur. Quel était votre ambition graphique sachant qu’il est difficile de faire peur en bande dessinée?
E.H.
C’était de plonger le lecteur dans une ambiance, car clairement, comme vous le dites, il est difficile de faire peur en bande dessinée. L’introduire donc dans un univers angoissant par la couleur (une majorité de verts et de mauves, une ambiance sombre), et aussi le faire s’attacher aux personnages et donc ensuite avoir peur pour eux. Un moyen de créer une tension quand on ne peut pas avoir recours aux effets du cinéma d’horreur comme la musique ou le jumpscare (effet qui fait sursauter de peur).

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Immonde ! » par Elizabeth Holleville. Glénat. 22,50 euros.

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