Appollo: «La fin de règne d’un dictateur»

Inspiré par Joseph-Désiré Mobutu mais aussi par d’autres tyrans, « T’Zée » est sous-titré « Une tragédie africaine ». En racontant la fin de règne de ce dictateur, mais aussi un amour impossible, Appollo rend en effet autant hommage à « Phèdre » qu’à la littérature africaine francophone.

Avec Brüno, vous avez mis plus de dix ans à trouver la bonne manière de raconter cette histoire. Est-ce que votre idée avait aussi besoin de mûrir?
Appollo.
Je ne sais pas si elle avait besoin de mûrir, il se trouve que pour diverses raisons, le projet a pris des années à se concrétiser. Je suppose donc que l’album, s’il était sorti il y a 10 ans, aurait été très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Ce qui a changé sans doute, pour moi, c’est que j’ai quitté le Congo depuis presque 10 ans, et que donc mon lien avec le pays, qui est quand même l’un des sujets de T’Zée, a changé de nature, la distance aidant.

Quel a été le déclic qui vous a permis de vous dire que cela fonctionnait et que vous pouviez lancer ce projet?
A.
C’est surtout une question de disponibilité, d’emploi du temps, de retrouvailles. En fait, il y a eu une exposition à la Ferme du Buisson, il y a quelques années, sur les projets avortés, les livres qui n’existaient pas, et T’Zée y avait été présenté. Je me suis dit – et Brüno aussi, je crois – que quand même c’était un chouette projet et qu’il était dommage de ne pas le faire exister, et ensuite on a décidé de se remettre dessus.


Les dessins de Brüno sont comme d’habitude magnifiques. Chaque case peut se regarder comme un tableau…
A.
Oui, il a fait un travail graphique magnifique. Il a en particulier réussi à rendre des ambiances congolaises étonnantes, alors qu’il n’y a jamais mis les pieds ! Un autre truc étonnant : le personnage de Bobbi ne devait, à l’origine, qu’avoir un rôle secondaire et accessoire, mais sa présence graphique, son incarnation, lui a donné une importance à laquelle je ne m’attendais pas, et c’est finalement elle, peut-être, le personnage principal. Le scénario a donc évolué vraiment en fonction de sa matérialisation graphique !


L’histoire de T’Zée s’inspire de Mobutu. Vous n’avez pas été tenté d’écrire un vrai récit historique sur l’ancien dictateur congolais?
A.
Non, pas du tout, ce n’était pas mon idée. Je voulais justement m’extraire de toute ambition documentaire ou historique. Ce qui nous intéressait, c’était l’idée du dictateur, de la fin d’un règne, pas un personnage en particulier. On souhaitait retrouver à la fois la dimension tragique du théâtre classique et se fondre dans une tradition littéraire africaine francophone, celle des récits sur les « tyrans éternels » pour reprendre l’expression de Sony Labou Tansi. Mais pour que cela fonctionne, il fallait aussi s’appuyer sur des éléments du réel, d’où cette demi-distance vis-à-vis du modèle zaïrois.



Vous êtes né en Afrique du Nord, avez grandi à La Réunion puis vécu plusieurs années au Congo. C’était presque indispensable pour vous sentir légitime de raconter l’Afrique?
A.
En tout cas, ça explique mon goût pour cet imaginaire-là, pour cette géographie un peu oubliée de la fiction française.

Chaque acte est introduit par la citation d’un auteur africain. La littérature a beaucoup influencé ce livre?
A.
Oui, bien sûr ! On souhaitait à la fois rendre hommage à la littérature africaine francophone et suivre ses pas !


« T’Zée » est sous-titré « Une tragédie africaine ». Doit-on y voir un double sens avec cette tragique histoire d’amour mais aussi à la situation instable du pays?
A.
L’expression vient d’un documentaire passionnant de Thierry Michel intitulé « Mobutu, roi du Zaïre ». Le destin de ces autocrates de la fin du XXème siècle, leur fin terrible, et le chaos qu’ils entraînent avec leur chute, tout cela relève bien de la tragédie dans tous les sens du terme. Ils sont pour moi l’incarnation de l’orgueil démesuré, et la fin de Mobutu dans les années 90 marque aussi la fin d’un monde en Afrique, avec des conséquences calamiteuses pour les pays qui vécu sous leur joug.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« T’Zée » par Appollo et Brüno. Dargaud. 22,50 euros.

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