Antoine Ozanam : « Emmett Dalton cherchait la rédemption »

Souvent éclipsés par leurs cousins fictifs, les véritables frères Dalton ont attaqué plusieurs trains et dévalisé quelques banques à la fin du XIXe siècle. A travers les souvenirs du petit frère Emmett, Antoine Ozanam montre comment la fratrie a sombré un peu par hasard dans la délinquance. Un western mélancolique sublimé par les planches magnifiques d’Emmanuel Bazin.

Contrairement aux aventures de leurs cousins fictifs Joe, Jack, William et Averell, l’histoire des véritables frères Dalton est beaucoup moins connue en France. C’est l’une des raisons qui a motivé ce projet?
Antoine Ozanam.
« Les cousins Dalton » ont en effet été la porte d’entrée. D’ailleurs, Lucky Luke a été ma première BD en tant que lecteur. Et c’est un peu par hasard que j’ai appris l’existence des véritables Dalton. Le fait que l’un des frères a survécu à la tuerie qui mit fin au gang a été l’étincelle. J’avoue qu’Emmett a tout du personnage idéal pour moi. J’adore les secondes vies et les secondes chances. Avec lui, j’ai été plus que gâté. Une première vie à chevaucher dans les vastes plaines, une seconde à Hollywood et à faire fortune. Les parts d’ombre, les repentis… Et l’amour qui est son fil conducteur d’une vie à l’autre.

En lisant ce premier tome, on a même l’impression que vous avez eu envie en quelque sorte de les réhabiliter, comme le souligne votre titre « Mauvaise réputation »?
A.O.
Le titre est venu à la fin. Mais oui, l’idée de départ était d’être le plus fidèle possible à la réalité. Réalité de la vie d’Emmett et de ses frères mais aussi de ce qu’était le far-west de l’époque. Dans la deuxième partie de sa vie, Emmett tente de faire taire la légende. Le gang Dalton n’était pas fait de salopards assoiffés de sang. Ici, je lui emboîte le pas avec, en plus, l’envie de faire oublier les cousins fictifs…

On découvre que ces frères basculent dans la violence un peu par hasard et surtout malgré eux. Ce sont des destins plus ou moins universels. Vous aviez envie que leur histoire trouve aussi un écho aujourd’hui?
A.O.
Je suis de ceux qui pensent que l’on ne naît pas criminel et que le chemin qui amène aux mauvais côtés sont fait de mauvaises rencontres, de mauvais endroits… Et que bien souvent, il y a des pièges ! Ce n’est pas que l’on vous pousse à être hors la loi, c’est qu’on vous prépare le terrain. Il faut avoir un sacré caractère, une force incroyable en soi, pour ne pas succomber. Il ne faut pas avoir été confronté à grand-chose pour penser que l’on peut rester du bon côté… quitte à voir les siens mourir de faim ou de froid. Et ça, malheureusement, ça marche aussi bien pour des personnes vivant il y a 150 ans qu’aujourd’hui.

Vous avez fait le choix de raconter leur histoire via les souvenirs d’Emmett, le plus jeune des frères Dalton…
A.O.
Emmett est le seul de la fratrie à avoir survécu au « passage » hors la loi. Il peut donc avoir assez de recul pour raconter, voir expliquer les choses. En plus, il y a en lui une envie de rédemption. Malgré les injustices, il sait qu’il a eu tort. Son passage en prison a tué sa rage, alors que les conditions de détention étaient bien dures. C’est assez rare comme parcours. De plus, quand il est un outlaw, il est aussi le petit frère, celui que l’on va protéger. Du coup, même à ce moment-là, il a une position différente du groupe. Tout son vécu l’a rendu mélancolique et pas uniquement nostalgique, puisqu’il n’a pas vécu que du bon. C’est une période charnière de l’histoire des Etats-Unis. Il sait qu’une partie de sa vie appartient à l’ancien monde.

Les dessins d’Emmanuel Bazin sont magnifiques avec de nombreuses cases qui semblent échappées de tableaux d’Edward Hopper. Vous cherchiez cette mélancolie ?
A.O.
J’ai mis un temps de fou à trouver le bon dessinateur. Certains très bons sont passés sur le projet et ont été écartés parce que le projet était coincé chez un éditeur en particulier qui trouvait toujours une bonne raison pour ne pas accepter ces dessinateurs (sic). Mais maintenant que je vois les planches d’Emmanuel, je sais que c’était lui qu’il fallait au projet. Que toute cette attente a été bénéfique car il a capté bien plus que tout le monde la mélancolie de cette histoire. Emmanuel est super impressionnant. C’est pratiquement son premier bouquin (il a fait juste un comics avant ça, mais c’est sa première BD franco-belge) et il file un sacré uppercut dès les premières planches. Il installe une ambiance rêvée pour cette histoire. J’ai grande hâte de m’attaquer avec lui à notre deuxième projet (après le tome 2 de « Mauvaise réputation ») pour montrer aux gens l’étendue de son talent. Car on changera d’ambiance et je suis certain qu’il le fera avec tout autant d’ingéniosité.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Mauvaise réputation – Tome 1. La véritable histoire d’Emmett Dalton » par Antoine Ozanam et Emmanuel Bazin. Glénat. 15,50 euros.

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