Matz: « Le juge Trévidic a une légitimité réelle »

Avec « Compte à rebours », l’ancien juge antiterrorisme Marc Trévidic et le scénariste Matz construisent un récit haletant et forcément très réaliste sur la « Guerre à la terreur ». Un mix parfaitement réussi entre la rigueur de la série télévisée « Engrenage » et la tension de « 24 heures chrono ».

Comment s’est nouée votre collaboration avec le juge Trévidic ?
Matz. C’est une collaboration très agréable, très fluide, qui s’améliore à chaque album. C’est assez simple : nous discutons ensemble de la trame, des péripéties, des thèmes, des personnages. Pour le quatrième tome, Giuseppe Liotti s’est aussi mêlé à la discussion. Ensuite, le juge Trévidic écrit un synopsis détaillé puis je me charge du découpage et des dialogues. À chaque album les synopsis de Marc sont plus longs et plus précis, avec des bribes de dialogues. Dans quelque temps, je suppose qu’il n’aura plus besoin de moi !

Quel a été votre principal travail à partir des éléments fournis par le juge Trévidic ?
M. Je me charge du découpage, c’est à dire de la mise en scène, page par page, case par case, ainsi que des dialogues. Écrire une bande dessinée n’est pas comme écrire un roman dans la mesure où on a une pagination prédéterminée à laquelle il faut se tenir. Il faut donc bien calibrer les séquences et les pages. Il y a un côté technique qui correspond à ce que j’ai l’habitude de faire.

On a davantage l’habitude de voir des juges raconter leur travail dans des romans. Est-ce que la BD était un moyen de toucher un public différent ?
M. Oui, bien sûr. Cela n’avait pas été tellement fait en bande dessinée, avec l’intention de montrer un peu l’envers du décor. Et puis aussi, le juge Trévidic est un amateur de BD, donc tout coïncidait pour que cela fonctionne.

Est-ce que travailler avec un ancien patron de l’antiterrorisme était excitant pour vous ?
M. Bien sûr, c’est un sujet passionnant, riche, complexe, et qui nous concerne tous. Difficile de ne pas s’y intéresser quand on s’intéresse au monde, à son histoire, aux conflits. J’ai aussi travaillé dans le passé sur des jeux vidéo qui traitaient de ce même thème. Collaborer avec le juge Trévidic était bien sûr très intéressant. D’ailleurs, c’est la raison principale pour laquelle je me suis lancé dans cette aventure. Il a une légitimité réelle pour traiter de ces sujets.

Le secret défense vous oblige à être uniquement dans la fiction ou vous pouvez tout de même glisser quelques éléments véridiques ?
M. 
Il y a des éléments véridiques, enfouis dans la fiction. Il y a des cas qui peuvent ressembler à des situations que le juge a pu connaître, et surtout, dans le tome 3, un attentat dont le projet a été effectivement trouvé dans une cache d’Al Qaïda. L’intérêt d’une série comme celle-ci se trouve là : mélanger fiction et réalité, pour délivrer un propos, pour dire quelque chose, du monde et de la vie. Je crois que c’est ce qui fait son intérêt, et peut faire réfléchir les gens en même temps que les divertir.

Est-ce que cela peut mettre mal à l’aise de devoir inventer des attentats ?
M. Non, pas vraiment. On est dans la fiction. Mais d’un autre côté, j’écris « Le Tueur » depuis plus de vingt ans, dans lequel j’imagine des assassinats, donc peut-être me suis-je habitué à vivre avec ces pensées mortifères ! On m’a parfois demandé si je n’avais pas peur de donner des idées à des terroristes… Je pense qu’ils ne nous attendent pas pour avoir des idées de ce genre, et par ailleurs c’est une question qu’on ne pose pas aux films et aux séries TV, et je ne vois pas pourquoi il devrait en aller autrement pour la BD. Le plus important, c’est que dans notre série, ce n’est jamais gratuit. Cela sert un propos et c’est fait avec retenue. On est plus dans la suggestion que dans l’hyperréalisme.

Le juge Duquesne ressemble physiquement au juge Trévidic. Est-ce qu’incarner ainsi le héros est une façon de crédibiliser la série ?
M. Je crois que Giuseppe a dû trouver que le juge avait décidément le physique de l’emploi, et que ce n’était pas la peine de se casser la tête à chercher autre chose. Parfois, les raisons ne sont pas si compliquées (sourire).

Dans ce triptyque, vous insistez sur la notion d’état de droit, tout en reconnaissant que c’est parfois un frein à une enquête. Vous avez senti que cette position morale est parfois difficile à tenir ?

M. C’est une des thématiques de cette histoire, à côté de laquelle on ne peut pas passer. Les débats autour du terrorisme débouchent souvent sur des « yaka fokon », et l’une de nos intentions était de montrer que les choses ne sont souvent pas si simples et faciles qu’on se plaît à l’imaginer confortablement assis chez soi, ou autour d’une table de talkshow. Quand on est confronté à des questions de vie ou de mort, les choses sont très différentes.

« Compte à rebours » montre aussi les rivalités de services. C’est une sorte de coup de gueule ?
M. Non, pas un coup de gueule, juste la volonté de raconter les choses telles qu’elles se passent. Cela fait partie de l’ADN de notre série, parce que c’est un aspect réaliste qu’on ne voit pas souvent… C’est intéressant de savoir comment fonctionnent nos institutions.

Votre série montre bien la terrible pression qui s’exerce sur les juges d’instruction. Vous avez ressenti cela chez le juge Trévidic, qui a travaillé durant dix ans à l’antiterrorisme ?
M. 
Je n’ai rencontré le juge Trévidic qu’après son départ de l’antiterrorisme, mais nous en avons parlé plusieurs fois. Les attentats, les victimes, les gardes du corps en permanence, les menaces, les voyages, les pressions politiques, les conséquences sur la vie de famille… C’est une responsabilité énorme et la pression est intense.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Compte à rebours, tome 1. Es-Shahid » par Matz, Marc Trevidic et Giuseppe Liotti. 15 euros. Rue de Sèvres.

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