J.M. Erre : « Et si Coluche était devenu Président… »

Le 16 mars 1981, après près de cinq mois de campagne, Coluche annonce son retrait de l’élection présidentielle. J.M. Erre a certainement raté cette information puisque son Coluche entre à l’Elysée. Les gags s’enchaînent tout en dessinant le portrait d’une France éternellement insatisfaite.

Pourquoi un livre sur Coluche ? 
J.M. Erre. Les raisons qui amènent à raconter une histoire restent toujours mystérieuses, et c’est très bien comme ça. Ce qui est sûr, c’est que Coluche, trente-quatre ans après sa mort, reste très présent dans nos esprits puisque les commentateurs de l’actualité l’invitent sans cesse dans leurs analyses. Un comique devient président de l’Ukraine ? On fait le parallèle avec Coluche. Beppe Grillo en Italie ? On nous ressort Coluche. Les gilets jaunes ? Coluche devient leur étendard. Et maintenant Bigard à la présidentielle 2022 ? Coluche ! 

C’est votre première bande dessinée. C’est votre frère, qui dessine l’album, qui vous a embarqué dans cette aventure ? 
J.M.E. Fabrice a écrit et dessiné le premier épisode pour Fluide Glacial, sans imaginer qu’il en ferait une suite. Puis il s’est rendu compte que Coluche à l’Élysée, c’était un terrain de jeu extraordinaire qui méritait d’être exploré. Comme on avait envie de travailler ensemble depuis un bout de temps, il m’a proposé d’imaginer la suite. Un beau cadeau de sa part : ma première BD. Il faudra que je pense à le remercier (sourire).

Alors que vous auriez pu raconter sa campagne présidentielle, vous préférez imaginer sa victoire. Pourquoi ce choix de politique fiction ?
J.M.E. Pour un scénariste, un des grands plaisirs, c’est de se poser la question «Et si…?». Les médias et les réseaux sociaux s’interrogent souvent sur ce qu’aurait dit Coluche de tel événement, sur ce qu’aurait fait Coluche dans telle situation, il était temps d’apporter les réponses définitives et lumineuses que le monde entier attend depuis trois décennies (en toute modestie, bien sûr).

Vous aviez dix ans en 1981. Cela vous a obligé à chercher de la documentation pour bien contextualiser votre histoire ? 
J.M.E. En réalité, j’ai commencé à écrire ce scénario en 1981. Depuis que j’ai dix ans, je découpe chaque jour dans la presse des articles pour le documenter. C’est pourquoi je suis heureux d’avoir terminé cet album : je vais enfin pouvoir avancer mon scénario sur la chute du mur de Berlin que je prépare depuis 1989. Je suis un peu lent comme scénariste.

Sous couvert d’humour, Coluche Président est une vraie réflexion sur le pouvoir. C’était votre idée de départ ?
J.M.E. L’idée de départ était de s’amuser en plaçant un bouffon au cœur du pouvoir pour observer comment le système pouvait exploser de l’intérieur. Mais ce qui aurait pu n’être qu’une suite de gags s’est peu à peu organisé autour d’une question très sérieuse : celle de la responsabilité que procure le pouvoir. Coluche se l’est forcément posée, car la célébrité lui donnait un pouvoir, et on peut penser que les Restos du cœur sont le résultat de cette réflexion. Notre Coluche Président va se confronter à ces interrogations très actuelles : Que faire du pouvoir ? Peut-on satisfaire les gens ?

Si même Coluche n’arrive pas à emporter l’adhésion des Français, cela veut dire que c’est mission impossible pour un Président de la République ?
J.M.E. Pas du tout. Regardez, Emmanuel Macron y arrive très bien (rires enregistrés).

Au fil des pages, on découvre des clins d’œil à « Hara Kiri », Gébé, Astérix ou Lindingre. Ce sont vos références ?
J.M.E. Oui, celles-ci et beaucoup d’autres. Fabrice et moi nous sommes nourris depuis l’enfance par les images. La BD, le cinéma, la télévision : tout cela nous constitue et ressort forcément dans nos histoires. J’aime beaucoup les clins d’œil, c’est une façon de rendre hommage à ceux qui nous ont beaucoup apporté. Au fond, l’album tout entier n’est qu’un grand clin d’œil à Coluche.

Quand on lit votre album, on entend vraiment la voix de Coluche. Vous avez beaucoup travaillé sur son langage ? 
J.M.E. Coluche fait partie de ces très rares artistes qui ont inventé un personnage immédiatement identifiable. Comme Charlot, il peut être stylisé, réduit à quelques motifs vestimentaires, et tout le monde le reconnaît. C’est pareil avec son langage, reconnaissable entre tous. Pour un scénariste qui cherche à construire des personnages auxquels le lecteur va s’attacher, c’est idéal : Coluche a déjà fait tout le boulot.

Coluche arrive à la conclusion que « les gens râlent tout le temps ». C’est aussi votre avis ?
J.M.E. Pfff, y en a marre de ces questions ! Ça commence à me les briser menues ! Comment ? Vous dites ? Non, je ne pense pas du tout que les gens soient des râleurs. C’est de la fiction tout ça. 

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Coluche Président! » par Fabrice Erre et JM Erre. Fluide Glacial. 12,90 euros.

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