Sylvain Runberg: « Surprendre avec Millénium »

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Plus qu’une adaptation, le premier tome – il y en aura six – de cette adaptation de la trilogie de Steig Larsson s’appréhende comme une oeuvre originale. Pari donc réussi pour Sylvain Runberg, qui parvient ainsi à tenir en haleine tous ceux qui connaissent déjà par coeur l’histoire de « Millénium ».

Pourquoi « Millénium »?
Sylvain Runberg. Lorsque j’ai lu la trilogie, j’ai tout de suite eu l’envie d’en faire une adaptation en bande dessinée, et ce pour plusieurs raisons. millenium1.jpgJe me suis tout de suite attaché aux trois personnages principaux, Lisbeth Salander, Mikaël Blomkvist et Erika Berger, des personnages qui à mes yeux étaient à la fois uniques, hors des sentiers battus des personnages traditionnels du thriller, et qui avaient aussi, chacun à leur manière, une dimension universelle. Les thématiques qui sont développées dans la trilogie, le féminisme et la violence faite aux femmes, l’extrême droite, sont également des sujets qui mes sont chers, et ce depuis très longtemps. Enfin, la Suède est un pays que j’apprécie énormément et que je connais bien.

Pouvez-vous en dire davantage sur les personnages ?
S.R. Lisbeth est une jeune hackeuse surdouée vivant à la marge et tentant de passer outre les blessures que lui inflige la vie. Mikaël est un journaliste intègre et passionné, mais sans faille particulière, qui jusqu’à l’affaire du procès qui le frappe de plein fouet, est un homme qui a connu jusque-là le succès et la reconnaissance dans son travail et qui est plutôt heureux dans sa vie privée. Enfin Erika, son amie et amante, directrice de rédaction, dynamique et volontaire.

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Vous travaillez une partie de l’année en Suède. Est-ce que cela a beaucoup influencé votre adaptation ?
S.R. 
Ma compagne est Suédoise, ce qui explique ma présence là-bas. Et cela a en effet influencé au plus haut point mon adaptation. En fait, si je ne partageais pas mon temps entre ces deux pays, je ne me serais jamais proposé de le faire. Pour moi, et ça vaut pour d’autres récits que j’ai publié auparavant – de « London Calling » à « Face cachée » en passant par « Les Chemins de Vadstena » -, je me refuse d’écrire un récit contemporain réaliste dans une ville ou un environnement que je ne connais pas, justement par souci de réalisme. D’ailleurs, Homs a passé une semaine avec moi à Stockholm avant de commencer l’album et il dit lui même qu’il n’aurait jamais pu faire le même livre si ça n’avait pas été le cas.

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La quatrième de couverture annonce « Millénium, comme vous ne l’avez jamais lu ». Quelles sont les caractéristiques de votre adaptation ?
S.R. 
Je partage ma vie entre la France et la Suède depuis une dizaine d’années et connais donc bien les éléments que Stieg Larsson évoque tout au long des trois romans, des éléments politiques, sociologiques, culturels. Pour moi, il s’agissait donc au départ de traiter cette adaptation comme une oeuvre originale, qui pourrait être appréciée à la fois par des lecteurs ne connaissant pas l’univers de « Millénium » mais aussi par ceux qui auraient déjà lu les romans et vus toutes les adaptations au cinéma et à la TV.

C’est vraiment au départ une envie d’auteur, c’est pour cela que je l’avais proposé aux éditions Dupuis il y a quelques années de cela. Et quelle ne fut pas ma surprise quand il y a deux ans, mon éditeur me passa un coup de fil pour me dire que c’était en fait possible, qu’ils avaient obtenu les droits d’adaptation et qu’ils pensaient donc à moi pour le scénario !

Comme je le disais plus haut, il s’agit d’en faire une oeuvre originale, tout en respectant les fondamentaux de la trilogie, notamment les profils psychologiques des personnages principaux, Lisbeth Salander et Mikaël Blomkvist en tête. Je connais très bien l’environnement de « Millénium », et je peux ainsi en jouer, en insérant mes propres connaissances de la Suède et de Stockholm en particulier, de la manière dont réagissent les individus, leurs habitudes. Quand je suis en Suède, je travaille à 200 mètres des bureaux de « Millénium », à 300 mètres de l’appartement de Mikaël Blomkvist ou de Lisbeth Salander. C’est mon quotidien.



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Beaucoup de lecteurs de votre BD vont déjà connaître l’histoire de « Millénium ». Est-ce un challenge de malgré tout réussir à les divertir ?
S.R. 
Tout d’abord, nous avons eu la confiance de nos éditeurs et des personnes en charge des droits de Stieg Larsson en Suède, qui nous ont laissé une totale indépendance artistique, et qui nous ont d’ailleurs adressé un mail de félicitation après avoir reçu ce tome 1. Ça veut dire que de nombreuses scènes inédites apparaissent dans notre version, mais aussi des scènes existantes qui sont traitées sous un angle complètement différent ou des éléments à peine évoqués dans les romans et les films qui sont et seront profondément développés dans notre version. Il y aura donc des surprises tout au long des six albums, même pour ceux qui pensent avoir déjà tout lu et tout vu de « Millénium », notamment en ce qui concerne le passé des personnages principaux, Lisbeth Salander en tête.

Et le travail graphique de Homs est aussi un élément primordial dans cette volonté de renouvellement. Nous avons voulu représenter Stockholm de la manière la plus réaliste qui soit, après tout, « Millénium » n’a de sens que confronté à la société suédoise, en ne cherchant pas à en rajouter sur le côté sombre de l’environnement. Stockholm est une ville superbe, lumineuse, colorée, où il fait bon vivre, et il nous semblait intéressant de conserver cet aspect-là, qui vient ainsi donner un relief supplémentaire à la noirceur du récit et à ce que vivent les personnages de la trilogie.

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La trilogie a été adaptée pour la télévision, mais aussi pour le cinéma. Est-ce que cela vous a influencé ou est-ce que vous avez essayé de vous en détacher pour mieux vous centrer sur les romans ?
S.R. 
Je connais évidemment les adaptations cinémas et télévisées, et je les ai apprécié, mais notre adaptation est celle du roman et nous avons fait attention à ne prendre aucun élément lié directement aux adaptations déjà existantes, qui de plus est ont été faites dans une optique très différente de la notre, que ça soit d’un point de vue visuel ou scénaristique.

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Les trois livres sont très denses avec beaucoup de personnages secondaires importants. Est-ce que les réduire à six albums de BD a été difficile?
S.R. 
Tous les personnages importants du roman seront conservés dans notre adaptation, les personnages étant le moteur de ce récit. Les changements sont plutôt d’un autre ordre. Des éléments que j’ai choisi d’ignorer ou de moins développer pour au contraire en souligner et en travailler plus en profondeur d’autres, parfois en créer, et donner ainsi une dynamique de récit adapté à la bande dessinée. Il s’agit une fois encore de proposer une oeuvre originale, tout en respectant les éléments fondateurs des trois romans qui donnent cette spécificité à « Millénium »: des personnages hors norme et une immersion dans la société suédoise contemporaine.

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Est-ce que le dessinateur Homs s’est immédiatement imposé pour réaliser cette adaptation ?
S.R. 
Quand les éditions Dupuis m’ont recontacté pour me dire que l’adaptation allait pouvoir se faire, ils ont immédiatement proposé le nom de Homs et j’ai tout de suite pensé que c’était là le meilleur choix possible. D’abord parce que son fantastique trait semi-réaliste donnerait une touche inimitable, uniquement possible en bande dessinée, car après tout, l’option purement réaliste de mise en image avait déjà été faite à la TV et au cinéma. Ensuite, il fallait un excellent dessinateur, capable de tout dessiner, des scènes intimistes comme des scènes d’action, et « Millénium » comporte tous ces éléments, ainsi qu’un metteur en scène d’exception. Et Homs est tout cela à la fois. Et pour ce qui est de la couleur, même si j’apprécie les récits en noir et blanc, les lumières et les couleurs de la Suède et de Stockholm en particulier sont si uniques et impressionnantes que ça aurait été dommage de ne pas les utiliser graphiquement !

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Comment avez-vous travaillé l’aspect graphique des personnages ?
S.R. 
L’avantage dans ce projet, c’est que les profils psychologiques étaient déjà donnés par Stieg Larsson. Donc Homs s’est attaqué de son côté aux recherches graphiques, et ce qu’il a proposé nous a tout de suite plu. Lisbeth Salander était évidemment un personnage primordial à mettre au point graphiquement, et on s’est tout de suite mis d’accord pour lui donner un aspect réaliste, de quelqu’un qui vit une existence difficile, qui a connu et connaît encore la violence, celle d’institutions qui ont cherché à la briser, mais aussi celle de la rue. Ce n’était pas évident, surtout après les performances d’actrices de Noomi Rapace et Rooney Mara, mais je pense que nous avons réussi à donner naissance à une Lisbeth Salander à la fois proche de celle des romans, mais différente de celles déjà portées à l’écran.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Millénium », tome 1″ par Runberg et Homs. Dupuis. 14,50 euros.

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