Sylvain Runberg: « Millenium prend ses racines dans la réalité »

Ceux qui ont été déçus par le tome 4 de « Millenium », écrit par David Lagercrantz, doivent absolument se plonger dans « Millenium Saga ». Le scénariste Sylvain Runberg retrouve l’incroyable efficacité des romans de Stieg Larsson tout en abordant des thèmes à l’actualité brûlante: la montée des extrêmes, la sécurité du Net et la liberté de la presse.

Est-ce que l’envie d’écrire une suite s’est rapidement imposée durant votre adaptation des romans de Stieg Larsson ?
Sylvain Runberg. En adaptant les trois premiers romans, j’ai passé trois années en compagnie des personnages de Stieg Larsson, auxquels j’étais déjà très attaché en tant que lecteur. C’est évidemment ce qui m’avait motivé pour proposer ce projet d’adaptation aux éditions Dupuis à la base. Forcément, il se crée un lien supplémentaire entre l’auteur et un univers quand on s’y plonge et qu’on le côtoie si longtemps, quasiment au quotidien. Et même si ça n’était pas dans la discussion initiale, au fur et à mesure de mes avancées, j’ai commencé à imaginer quelle pourrait être la suite de ce troisième roman, sachant que Stieg Larsson avait semble-t-il envisagé d’en écrire neuf au total. J’en ai discuté parfois de manière informelle avec mon éditeur, à l’époque Louis-Antoine Dujardin, mais sans que ça soit vraiment une proposition en bonne et due forme de ma part, même si les idées que j’évoquais lui plaisaient.

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Est-ce qu’il a été difficile d’obtenir les droits pour écrire une suite inédite aux romans de Stieg Larsson ?
S.R. En fait, durant l’été 2015, alors que le sixième tome de la bande dessinée « Millénium » allait paraître, les ayant-droits de Stieg Larsson, qui ont visiblement beaucoup apprécié notre travail sur l’adaptation des trois romans, m’ont demandé si je voulais adapter le quatrième roman, écrit par David Lagercrantz, qui n’était pas encore sorti à ce moment-là. Mais entre-temps, mon éditeur chez Dupuis leur avait fait part de ces discussions qu’on avait eues ensemble sur ce que j’avais en tête pour une suite inédite. Lors de la réunion, les ayant-droits m’ont donc demandé de leur dire ce que j’avais imaginé. Je l’ai fait et ça leur a beaucoup plu. Ils m’ont dit que si je le voulais, je pouvais en fait écrire mon propre récit.

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C’est une belle marque de confiance…
S.R. J’ai été évidemment très touché et c’est pour cette raison que je n’ai d’ailleurs toujours pas lu le quatrième roman écrit par David Lagercrantz, pour éviter de me faire influencer d’une quelconque façon. Mais on m’a dit que ma suite était très différente de la sienne, à tous points de vue, et que c’est ce qui en faisait l’intérêt.

Avez-vous eu des contraintes ?
S.R. Non, j’ai eu une liberté totale d’écriture, comme sur l’adaptation des trois premiers romans d’ailleurs.

Au début de l’album, la chanteuse d’un groupe de rock scande: « On est toujours là ! Dix ans après, rien n’a changé ». C’était aussi l’idée de cette suite inédite, de ne rien changer ?
S.R. Non, évidemment, un univers doit pouvoir évoluer, ne fût-ce que parce que depuis que Stieg Larsson a écrit ses romans, le monde a changé, et « Millenium » est un univers qui prend ses racines dans la réalité. En revanche, garder ce qui fait l’essence des personnages principaux, notamment Lisbeth Salander et Mikaël Blomkvist, est un aspect primordial, dans les adaptations, comme sur cette suite. On retrouvera aussi beaucoup d’autres personnages des romans ! Pour ce qui est du groupe Evil Finger dont il est question ici, c’est en lien direct avec les romans. Il s’agissait d’un groupe féminin dont Lisbeth connaissait les membres quand elle était adolescente, et leur reformation ici indique aussi la continuité directe entre les trois romans, les six albums de l’adaptation et Millénium Saga.

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Il est peut-être encore un peu plus question de la vie du journal Millenium dans ce premier tome. Vous abordez des thèmes comme l’indépendance de la presse vis-à-vis des annonceurs ou les lanceurs d’alerte. Ce sont des sujets qui vous tiennent à cœur ?
S.R. Pour « Millenium Saga », je suis resté focalisé sur les aspects politiques développés par Stieg Larsson, le féminisme, l’extrême droite, les hackers, le rôle et le fonctionnement des médias. Et évidemment, les questions et les difficultés économiques qui frappent la presse et les médias en général sont présentes, sur fond de questionnements éditoriaux et d’indépendance journalistique. J’en ai fait le centre du récit, car ces thématiques sont, malheureusement pour certaines, plus que jamais d’actualité.

Quels sont les grands thèmes de « Millenium Saga » ?
S.R. Le récit se passe en Suède aujourd’hui, un an après le procès de Lisbeth Salander, avec pour fond la montée en puissance dans le pays d’un parti d’extrême droite dirigé par un jeune leader charismatique. Je parle aussi de la crise des réfugiés, puisque la Suède est le pays européen qui en proportion de sa population en a accueilli le plus. Le récit aborde aussi ce qui se passe sur le plan des groupes de hackers, des activistes du Net, des lanceurs d’alertes, qui sont des sujets qui me passionnent depuis longtemps. Ils étaient d’ailleurs présents dès le départ dans l’univers de « Millénium », à travers le groupe Hacker Republic auquel appartient Lisbeth Salander.

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Dans Les âmes froides, la Suède se trouve à quelques mois d’une élection qui risque de mettre un parti d’extrême droite au pouvoir. C’est une situation proche de ce que l’on constate en France ?
S.R. C’est malheureusement une situation qui est aujourd’hui réelle dans beaucoup de pays européens : France, Pays-Bas, Autriche, Grèce, Allemagne, Danemark ou Suède, même si ce pays a longtemps résisté à cette poussée xénophobe. Je dirais que la grande différence entre la Suède et la France pour l’instant, c’est que contrairement à la France, le parti d’extrême droite qui atteint maintenant les 15% d’intentions de vote est très isolé sur la scène politique, et que ses idées restent minoritaires chez les citoyens, mais aussi chez les autres partis politiques ou les médias. Il a encore ce cordon de sécurité démocratique autour de lui. En France, ce n’est malheureusement pas le cas, entre les leaders politiques qui s’inspirent directement des idées du Front national ou les « polémistes » aux propos nauséabonds qui s’expriment quasi quotidiennement dans des médias nationaux, c’est assez catastrophique.

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Le dossier de presse évoque « des récits inédits » au pluriel. Est-ce que vous avez déjà envisagé d’aller au-delà de ce premier triptyque ?
S.R.« Millénium Saga » est un récit complet en trois tomes. Pour l’instant, on en est là. Est-ce que j’ai déjà des idées pour une suite éventuelle ? Oui, bien entendu. Mais c’est trop tôt pour en parler. Belen Ortega et moi nous concentrons uniquement sur ces trois albums, en essayant de faire les meilleurs livres possible. Ensuite, ce sont les lecteurs qui jugeront, comme d’habitude !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Millénium saga – tome 1. Les âmes froides » par Sylvain Runberg et Belén Ortega. Dupuis. 14,50 euros.

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