Rudy Spiessert: « On voulait une ambiance étrange, parfois déstabilisante »

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Pour apprécier « Hélas » à sa juste valeur, mieux vaut ne pas trop en savoir et se laisser déstabiliser par l’intrigue très singulière proposée par Hervé Bourhis. Sans entrer dans les détails de cette étrange histoire, Rudy Spiessert explique la manière dont il a abordé le dessin de cet excitant projet.

Quelle a été votre réaction quand vous avez découvert que la plupart des personnages étaient des animaux ?

Rudy Spiessert. Cela me faisait un peu peur, car je n’avais jamais abordé le dessin animalier. Mais, c’est aussi ce qui m’a donné envie de dessiner cette histoire. Cela devenait une sorte de défi. C’est la première fois que l’on m’emmenait vers cela. En plus, c’est quelque chose qui s’impose dans le récit, ce n’est pas uniquement un parti-pris créatif. Cela a vraiment du sens et cela donne une dimension poétique à l’histoire.

Êtes-vous intervenu sur le scénario ?

R.S. Très peu. Je sais qu’Hervé a travaillé sur plusieurs versions avec l’éditeur. J’étais pour ma part sous le charme dès le début, car c’est une sorte de conte philosophico poétique qui donne vraiment matière à faire de très belles images. C’est très excitant pour un dessinateur de découvrir une histoire et de commencer mentalement à plaquer des images dessus.

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Qui a choisi de situer cette histoire dans le Paris du début du siècle dernier ?

R.S. C’était déjà dans le projet initial d’Hervé Bourhis. On aime beaucoup le Paris haussmannien. Cette époque représente la science triomphante, le positivisme et il était intéressant de confronter cela à une situation étrange. 


Les toutes premières pages laissent le lecteur perplexe voire un peu perdu…

R.S. Complètement. Elles sont là pour le secouer, le déstabiliser. On n’avait pas envie d’annoncer la couleur immédiatement. Mais, c’est très difficile de maintenir un suspens en bande dessinée. On ne maîtrise pas le rythme de lecture, puisqu’on ne peut pas empêcher le lecteur d’aller voir plus loin. Il faut donc essayer de l’intriguer, de l’accrocher de façon à ce qu’il suive le rythme qu’on essaye de lui imposer. Cela passe par des jeux d’ombre, des dessins qui ne se révèlent pas au premier abord.



Le premier animal à être dévoilé est un singe, ce qui peut évoquer « la Planète des singes »…

R.S. C’est inconscient. On nous en parle beaucoup depuis la parution de l’album, mais je n’en ai gardé que de très vagues souvenirs. En revanche, le rythme et l’intrigue de cet album sont davantage influencés par les feuilletons du début du XXe siècle. Pour le dessin, c’est très difficile de dessiner le Paris de 1910 sans penser à Adèle Blanc-Sec. Quand j’imagine la capitale au début du siècle dernier, je vois autant d’images de Tardi que de photographies de l’époque. Cela m’a forcément influencé.


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Comment avez-vous réussi à donner une allure humaine à tous les animaux ? Est-ce que certains ont été plus difficiles à appréhender que d’autres ?

R.S. 
Je ne sais pas si cela a été plus difficile. Mais, on s’identifie peut-être plus facilement avec les carnivores. Cela peut aider. Le plus délicat, c’était plutôt de trouver le style d’anthropomorphisme, afin ne pas aller par exemple vers quelque chose à la Disney. On ne voulait pas de quelque chose de familier, mais plutôt une ambiance assez étrange, parfois un peu déstabilisante. Le dessin devait être singulier.

Vous avez feuilleté les albums de « Blacksad » ?

R.S. 
Davantage pour s’en démarquer que pour s’en inspirer. Non pas parce que je n’aime pas Blacksad, mais encore une fois parce que c’est une forme qui nous est aujourd’hui familière. J’avais vraiment envie d’être plus dérangeant et de me rapprocher plutôt de Benjamin Rabier. C’est un illustrateur du début du XXe siècle qui racontait des histoires horribles peuplées de personnages animaliers avec un dessin à la fois naïf et doux.

Le titre de cet album « Hélas » peut être interprété de différentes manières. Quelle signification lui donnez-vous ?

R.S. 
Il y en une que l’on découvre en lisant l’album. Je ne vais donc pas la révéler. Il y aussi quelque chose d’un peu désabusé qui fait peut-être écho à la société animale que l’on décrit et qui n’est finalement pas meilleure que celle des hommes.



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Vous avez construit la base d’un univers riche et très original. Vous n’avez pas été tenté de le faire vivre sur plusieurs tomes ?


R.S. Selon nous, l’histoire tenait en un tome. Maintenant, on a aussi laissé quelques portes ouvertes à la fin. On ne sait jamais…

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

« Hélas » de Rudy Spiessert et Hervé Bourhis. Dupuis, 15 euros.

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