Philippe Richelle : « Comment concilier son ambition avec son éthique personnelle »

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Peut-on réussir dans la vie tout en restant intègre ? C’est en résumé la question à laquelle Philippe Richelle essaye de répondre dans cette nouvelle série très réaliste qui plonge un jeune étudiant idéaliste dans le monde cruel de la télévision. Captivant.

Après avoir exploré la politique et la finance, vous avez choisi de vous intéresser à la télévision. Est-ce que ce choix s’est imposé ?
Philippe Richelle. Le choix s’est en effet imposé. Je suis constamment en recherche de sujets neufs et originaux. L’univers des médias m’a toujours intéressé, pour sa fonction politique et sociale, l’attraction qu’il exerce sur le commun des mortels… Je me documentais sur le sujet depuis quelques années, mais l’angle d’approche de la série ne s’est imposé que progressivement. L’idée, c’est d’explorer le monde des médias à travers l’expérience d’un jeune provincial qui monte à Paris pour essayer de faire son trou dans l’audiovisuel. media1.jpg Il est animé par l’envie de s’extraire d’une condition relativement modeste, par un besoin de reconnaissance sociale. En même temps, il est idéaliste et intègre. L’une des questions majeures est de savoir comment il va arriver à concilier son ambition avec son éthique personnelle, dans un milieu où les places sont chères, les ambitions exacerbées, les egos parfois surdimensionnés, les rivalités féroces… Ce thème est très présent dans mon travail : Clive, le personnage principal du premier cycle des Coulisses du Pouvoir, présente un profil assez proche de celui de Manu, le héros de Média.

Est-ce que ce n’était pas aussi un moyen de parler des trois sujets (politique, finance et média) en même temps ?
Ph.R. Il est évident qu’en s’intéressant aux médias, on peut difficilement éluder leurs liens avec la politique ou la finance. Pour autant, Média ne s’inscrit pas dans la continuité des Coulisses du pouvoir ou de Secrets bancaires, ces deux séries étant du reste très différentes.

Par rapport à la politique et à la finance, est-ce qu’il a été plus facile ou au contraire plus compliqué de percer les secrets du monde médiatique ?
Ph.R. Plus facile ! Le monde des médias est plus « transparent » que la politique ou la finance. Personne n’ignore par exemple les liens qui existent entre tel patron de chaîne privée et tel parti politique. Quant au fonctionnement des grands médias, à leurs relations avec les classes dirigeantes ou encore à la manière dont ils traitent l’information en fonction de leur ligne « idéologique », les sources d’information abondent. Par ailleurs, la télé ne cesse de se mettre en scène. Enfin, j’ai moi-même une petite expérience des plateaux de télévision et des maisons de production. Et c’est un milieu qui fonctionne un peu comme celui de l’édition, que je connais forcément très bien. La politique, c’est beaucoup plus complexe sauf à la réduire aux scandales qui l’éclaboussent périodiquement, ce qui est simplificateur et dangereux. Quant à la finance, c’est un milieu dont le fonctionnement même repose sur l’opacité et le secret.

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Média n’est pas une série didactique sur la télévision, mais d’abord une histoire humaine qui raconte d’abord le parcours d’un jeune qui galère pour trouver du boulot dans les médias. Centrer ce premier album sur ce personnage de Manu davantage que sur le monde des médias était un choix dès le départ ? Est-ce que les prochains tomes seront différents ?
Ph.R. Comme je l’ai déjà dit, c’était un choix bien réfléchi. J’aurais pu raconter des enquêtes policières se déroulant dans l’univers de la télévision. Mais cela ne me semblait pas intéressant. D’autres angles d’approche étaient envisageables, et il n’est pas impossible que j’en utilise l’un ou l’autre pour un éventuel second cycle, ou pour une autre série.Si j’ai choisi d’aborder l’univers de la télé à travers la trajectoire de Manu, c’est essentiellement pour permettre une identification forte au personnage principal. Il est probable aussi que la lecture d’un bouquin sur Endemol a joué un rôle dans mon choix : Stéphane Courbit, le fondateur d’Endemol France, a atteint une position clé dans la production télévisuelle en France alors que, comme Manu, rien ne semblait l’y prédestiner.

Dans ce premier tome, je raconte la jeunesse compliquée de Manu et ses débuts parisiens, qui s’assimilent à une galère. Il décroche un contrat de six mois dans une boîte de production, dans une fonction subalterne. On est donc encore loin des sphères décisionnelles du quatrième pouvoir (même si celles-ci sont évoquées à travers le couple formé par Bertrand et Élise, Bertrand étant le fils du propriétaire d’une grande chaîne privée). Ces hautes sphères, on s’en rapprochera immanquablement à mesure que Manu gravira les échelons, comme on peut supposer qu’il le fera.

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On reconnaît facilement tous les personnages, mais leurs noms sont grossièrement falsifiés. C’était par peur d’éventuels procès ou pour vous permettre de prendre un peu de distance avec la réalité ?
Ph.R. Disons plutôt que ce sont des clins d’œil au lecteur…

Hormis l’histoire de Manu, le personnage principal, est-ce une fiction inspirée de faits réels ou une histoire vraie légèrement romancée ?
Ph.R.
Média est un récit de pure fiction, avec des personnages de fiction. Pour être crédible, la fiction doit s’appuyer sur la réalité. Cela passe par un travail de documentation dont l’ampleur varie en fonction du sujet abordé et de la connaissance que l’on en a au départ.Dans le cas de Média, je dirais que des éléments de la réalité sont venus nourrir la narration.

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On a l’impression que vous avez vraiment envie de prendre votre temps pour raconter cette histoire ? Est-ce différent de vos albums précédents ? Avez-vous déjà prévu le nombre de tomes ?
Ph.R. Le premier cycle, qui retracera donc la trajectoire de Manu, comportera en principe quatre tomes. L’idéal, pour le scénariste que je suis, serait de publier l’histoire dans son intégralité, en un seul volume. Pour des raisons économiques, ce n’est pas possible. Dans la BD franco-belge, l’album de 46 ou 54 pages reste la norme. C’est un handicap par rapport à la littérature ou par rapport aux mangas, qui déferlent chez nous avec des collections comptant de nombreux albums à forte pagination, ce qui explique pour une large part leur succès. Nous ne nous battons pas à armes égales. Les éditeurs cherchent des solutions, comme l’attestent ces collections de plusieurs albums publiés quasiment en même temps. Généralement, plusieurs dessinateurs y sont impliqués. Avec un seul dessinateur, cette stratégie n’est pas envisageable. Compte tenu du temps nécessaire à la réalisation des albums, l’éditeur devrait attendre trop longtemps avant de pouvoir commencer à rentabiliser son investissement.

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Est-ce que vous avez déjà la trame de tous les albums et la fin en tête ou est-ce que vous écrivez l’histoire au fur et à mesure ?
Ph.R. La trame générale et l’épilogue sont fixés au départ. Quant au séquentiel, je l’écris album par album. Pour l’instant, je boucle celui du tome 2, dont Marc-Renier a entamé la réalisation graphique.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

« Média » (tome 1. L’idéaliste) de Philippe Richelle , Marc Renier , Guy Raives. Glénat. 13 euros.

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