LF Bollée : « Un western lent et intimiste »

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« Deadline » n’est pas un western comme les autres. Son scénariste LF Bollée y parle surtout d’amour et de racisme. Ce qui en fait tout son charme, d’autant qu’il est magnifiquement mis en images par les dessins en couleur directe d’un maitre du genre, Christian Rossi (« Jim Cutlass », « W.E.S.T. »).


Quel a été le point de départ de cet album : l’envie d’écrire un western ou de parler de racisme ?
LF. Bollée. Assurément l’envie d’écrire un western, mais rien ne se serait fait sans « l’étincelle » première, à savoir la signification originelle du mot « deadline ». deadline1.jpgÀ partir de là, et puisque cela venait bien de la guerre de Sécession, et qu’on était donc dans la deuxième partie du XIXe siècle américain, le genre du western s’imposait. Ensuite, tout s’est mis en place et les notions de racisme et surtout d’amour ont peut-être pris le pouvoir sur le projet.

Vous aviez pensé à Griffo pour le dessiner, mais avez finalement été mis en contact avec Christian Rossi. Il représentait quoi pour vous ?
LF. B. Le hasard a en effet voulu que Griffo mentionne ce projet de ma part à Rossi et que ce dernier soit à la recherche d’une histoire qui pouvait lui faire « vibrer » les tripes. Il a dit banco presque tout de suite, et c’était évidemment un honneur pour moi, car il est d’évidence un des maîtres actuels du dessin réaliste, et notamment en western. Mais le plus important est bien qu’il se soit approprié l’histoire, qu’il ait « plongé » à fond dans le destin tourmenté de Louis, et qu’il ait souhaité, tout comme moi, faire une histoire un peu hors-norme, lente et intimiste, un peu à contre-courant d’un western classique… Une vision d’auteur(s) forcément !

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Son trait et ses couleurs directes ont influencé votre travail ?
LF. B. Son dessin ne m’a pas influencé car à la base c’est un récit très littéraire sur une vie d’homme, mais disons que je me suis tout permis car je savais qu’il saurait tout faire, et encore mieux que ce que j’imaginais !


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Dans le livre, la deadline est une ligne qui sépare prisonniers et soldats. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce symbole ?
LF. B.
C’est d’abord un fait authentique: la deadline, pendant la guerre de Sécession, était une ligne ou une séparation de fortune entre prisonniers et geôliers ou sentinelles. On n’avait pas les moyens ou le temps de construire des cabanes en formes de prison. Donc si on franchit la ligne, on tire, c’est aussi simple que ça ! C’est une réalité et aussi un symbole, car une simple ligne sépare donc un monde en deux… et que cela devient une question de vie ou de mort. Dans un premier temps, elle sépare deux camps ennemis, puis on peut penser qu’elle sépare deux hommes en particulier, et enfin – et c’était pour moi peut-être le plus important – elle trace une barrière pour notre personnage principal qui toute sa vie hésitera à « franchir les lignes », à vivre pleinement sa vie.

Cet album fait l’apologie de l’éducation, car c’est grâce à son précepteur que Paugham ne va pas rejoindre le Ku Klux Klan. Cela conforte donc l’idée que le racisme est uniquement le fruit de l’ignorance ?
LF. B. Oui, mais pas seulement. L’ignorance est évidemment une donnée fondamentale, mais je pense aussi à deux autres notions comme la bêtise ou l’inculture. Tout cela se rejoint, bien sûr, mais il y a des nuances.

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« Deadline » parle aussi d’homophobie, ce qui est rarement traité dans la BD grand public. Est-ce tabou ou difficile d’aborder un thème aussi délicat ?
LF. B. Déjà, on parle d’homosexualité, puis d’homophobie et globalement de la difficulté à vivre sa vie lorsqu’on n’est pas « comme les autres ». Ce n’est pas un sujet tabou mais il reste difficile à aborder car il touche à des sensibilités très fortes. Aucun auteur ne peut prétendre pouvoir retranscrire facilement et génialement l’histoire d’un coup de foudre improbable et le parcours d’une vie marquée par les tourments et les interrogations intimes ! C’est pourtant le challenge que j’ai essayé de relever, en ne prétendant rien dire d’autre que la fameuse phrase attribuée à Malraux: « Une vie d’homme ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie d’homme ».

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Un siècle nous sépare de cette histoire qui reste malgré tout très actuelle. Cette résonance dans le présent était importante pour vous ?
LF. B. Oui, bien sûr, car autant l’histoire de cet album a commencé en 2011, autant l’élection de François Hollande et le débat sur le mariage pour tous de 2012-2013 sont venus ensuite nourrir notre actualité presque quotidienne. Difficile de ne pas y trouver un écho dans notre histoire ! D’où quelques cases dont j’ai modifié le texte pour envoyer un message clair à mes lecteurs/concitoyens. Je pense par exemple à la case 4 de la planche 41 (page 43 dans l’édition courante) avec la répétition des mots « et alors ? » qui rappelle selon moi que rien n’est condamnable.



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C’est donc (presque) un album militant ?
LF. B.
Oui, un peu en effet, impossible de ne pas s’inscrire dans le contemporain et prendre position sur ce qui semble parfois comme le bon sens…


Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Deadline » par LF Bollée et Christian Rossi. Glénat. 18,50 euros.

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