Le pilier de bar selon Lindingre

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Pour combattre le racisme, la misogynie, l’homophobie, bref la connerie au sens large, le rire est souvent l’arme la plus efficace. C’est en tout cas l’option choisie par Lindingre dans cette hilarante mais caustique étude de quelques piliers de bars affreux, sales et méchants.

Comment est né « Chez Francisque »?

Lindingre: Tous les matins, j’allais boire mon café dans un bar à Metz et il y avait un ancien militaire qui partait dans des diatribes contre les Arabes, les juifs, les femmes, les homos… J’ai essayé de discuter avec lui, mais me suis vite rendu compte que c’était inutile. Je me suis alors mis à consigner toutes ces histoires.
Quand j’ai repris ces scénarios, j’ai commencé par les adapter pour un couple de retraités dans un immeuble. Mon éditeur Fluide Glacial a proposé à Manu Larcenet de les dessiner. Sans en connaître l’origine, il a replacé toutes ces histoires dans un bistrot ce qui finalement fonctionne mieux, car on peut changer de personnages, varier les fascismes et les formes de bêtises. lindingre2.jpgC’est mieux d’avoir tout un panel plutôt que d’essayer de définir le con universel.

Comment travaillez-vous avec Manu Larcenet?

L.: Je lui livre des pages écrites et disons prédessinées. Lui passe ensuite à l’action et crée l’ambiance. C’est bien de bosser avec lui car il est intelligent et a compris exactement où je voulais en venir. Je suis aussi très content du résultat plastique. Sa présence a aussi aidé à mieux faire connaître le bouquin, car c’était déjà une star quand on a commencé. Même s’il fait aussi des livres plus confidentiels qui ne se vendent pas beaucoup. S’il n’avait pas accepté, j’aurais pu le faire avec quelqu’un comme Vuillemin ou des dessinateurs dans cet esprit.

Avez-vous fréquenté beaucoup de bistrots ressemblants à « Chez Francisque »?

L.:Cela existe partout. J’ai constaté que quand le patron est facho, les langues se délient. Comme il donne sa bénédiction, les types se sentent presque obligés de faire de la surenchère. Dans le bouquin, c’est le dixième de ce que j’ai entendu. Le bistrot, c’est un défouloir où l’on peut être un peu fou, mais dans le bon sens. C’est aussi un lieu où les esprits peuvent s’échauffer. Le taulier, c’est un peu le chef d’orchestre.

Toutes les histoires ont été inspirées par des situations réelles?

L.: Les premières. Après, je me suis laissé habiter par les personnages comme un comédien. Je peux par exemple regarder les infos et les commenter comme eux, avec leur vocabulaire. L’idée n’était pas d’attendre que des conneries sortent dans le bistrot, mais de s’imbiber des personnages, de se les approprier pour les faire exister soi-même et prolonger ce qu’ils pourraient dire.
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Est-ce que vous avez quand même un peu de tendresse pour vos personnages?

L.: C’est très compliqué. On parle du bistrot, mais cela peut-être la même chose dans un repas de famille où le tonton va commencer à parler des bougnoules. Il y a deux solutions : s’opposer ou la fermer parce que l’on sait que cela ne sert à rien. Plus jeune, je la ramenais toujours. Aujourd’hui, je préfère en faire des bouquins et me moquer de ceux qui sont irrécupérables, car ils ont la haine et des certitudes. On ne peut avoir que du mépris pour eux. Mais, il y a en d’autres qui vont raconter des grosses conneries racistes, mais seront les premiers à s’arrêter pour dépanner un arabe au bord de la route. lindingre1.jpgIls ont des comportements complètement dichotomiques entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font. D’autres adoptent un discours plus politiquement correct, mais ne sont pas capables de se dévouer pour quelqu’un en difficulté.

Je suis donc méfiant, car c’est très complexe. Parmi les salauds de « Chez Francisque », il y a des gugusses plus bêtes que méchants et ce ne sont pas forcément les pires.

Est-ce que pour être drôle, vous avez été obligé de forcer le trait ?

L.:J’ai entendu des trucs énormes, mais ce n’est pas toujours bien construit. C’est juste très drôle parce que l’on est là présent physiquement. Parfois, des gens vivent un truc super poilant, mais ce n’est plus drôle du tout quand il vous le raconte. C’est rare les histoires vraies qui deviennent universelles. Pour que cela soit drôle, il faut la réécrire, en rajouter, l’exagérer, la faire monter en mayonnaise.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

« Chez Francisque », tome 2. Par Lindingre et Larcenet, Éditions Fluide Glacial (11,95€).

CHEZ FRANCISQUE – Tome 1

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