Jean-Christophe Derrien rafle la mise avec « Poker »

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« Poker » est une série qui ne bluffe pas, puisque les cartes y jouent un rôle important, mais qui ne se contente pas de surfer sur la vague du Texas Hold’em. C’est aussi un thriller très accrocheur avec une femme fatale, une histoire de vengeance et une organisation très mystérieuse.

L’un de vos personnages déclare qu’il ne touche pas aux cartes, car c’est un truc de malade. Et vous ?
Jean-Christophe Derrien. J’ai appris à jouer pour écrire la série. Je ne me voyais pas parler d’un sujet aussi fascinant sans connaître un peu les règles, le milieu… Je reste un joueur occasionnel, un « fish » comme disent les amateurs les plus aguerris. Je m’amuse avec mes amis en privé et j’ai tenté plusieurs fois le cash game en casino. Depuis quelques mois, je m’essaye aussi aux tournois dans des cercles privés parisiens. Sans oublier le online, qui est une bonne école. Je ne dirai pas que c’est un truc de malade, mais que c’est un jeu extrêmement plaisant qui peut être addictif, d’où son succès actuel qui va grandissant.



Qu’est-ce qui vous plaît dans le poker ?
J.-Ch.D. Une partie de poker, c’est un duel de pistoleros. Qui va dégommer l’autre et remporter le coup ? Le Hold’em fonctionne bien visuellement, parce qu’il est assez spectaculaire et simple d’accès. Cela explique l’engouement télévisuel pour les compétitions internationales. J’aimais bien l’idée d’un personnage principal qui n’est pas dans l’action, mais dans le jeu. Il reste toutefois très physique, présent, intense. Dans les années 60, les jeunes rêvaient de devenir Michel Vaillant. Maintenant, ils veulent égaler Phil Hellmuth, Stu Ungar ou Daniel Negreanu…



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Comment vous est venue l’idée d’utiliser le poker dans une histoire de BD ?
J.-Ch.D. Je suis depuis longtemps fasciné par l’univers des casinos. Quand j’ai visité Las Vegas en 1996, cela a été un vrai choc même si à l’époque, je n’étais pas joueur. Je voyais cela de l’extérieur. J’ai parlé de cette envie à Gauthier Van Merbeeke chez Le Lombard qui y a réfléchi et m’a rappelé en me disant de plancher là dessus. Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur le concept, j’ai pensé à Simon Van Liemt avec qui j’avais fait « Incantations » chez Glénat.



Est-ce que cela existait déjà en BD, dans la littérature ou le cinéma ?
J.-Ch.D. A ma connaissance, il y a quelques bandes dessinées dont le sujet est le poker, mais les angles sont différents : « All in », un manga français chez Les Humanos, « Ken Games » chez Dargaud,… Au cinéma, on peut parler de « Lucky you » de Curtis Hanson qui est un film que j’aime bien, même s’il ne semble pas très apprécié par les joueurs. Leur référence, c’est plutôt justement « »Les joueurs (Rounders) » de John Dahl.

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Est-ce qu’il est difficile de s’adresser à la fois à des amateurs de poker et à des non-initiés ? Comment être suffisamment clair pour les uns et crédible pour les autres ?
J.-Ch.D. Le tome 1 sera le test. Une des personnes du Lombard a réfléchi là dessus et m’a dit qu’il fallait mettre en avant le côté thriller pour les joueurs de poker et le côté jeu pour les amateurs de séries comme « IRS » ou « Largo Winch ». En simplifiant, que l’album soit exotique à tous. Nous avons pensé à mettre un moment un lexique explicatif en préambule avec les termes usités, mais en même temps, quand on regarde un épisode d' »Urgences », on ne comprend pas tout. On suit néanmoins l’action, parce qu’on est dedans. Dans le premier tome, il y a pas mal de scènes de poker, mais décrire un coup complet prend au minimum six pages pour dix joueurs. À l’avenir, nous resterons plus sur l’essence du jeu, l’ambiance, le décorum. Je ne sais pas du tout comment les joueurs de poker vont réagir à la lecture de l’album. Nous avons sûrement fait plein d’erreurs, mais nous ne demandons qu’à nous améliorer. Ce qui compte avant tout, c’est de sortir des albums cohérents pour une série qui, j’espère, le sera aussi.



Dans cet album, le poker n’est pas simplement un prétexte et a un vrai rôle dans l’intrigue sans que cela n’en devienne écœurant et ennuyeux. Ce dosage a été difficile à trouver ?
J.-Ch.D. Quand l’éditeur nous a proposé 54 planches au lieu des 46 habituelles, c’était l’occasion d’accentuer le côté poker, qui prend de la place mais qui fait aussi partie intégrante de l’histoire. La construction de la série s’apparente aux « Rocky », l’ascension d’un jeune vers la gloire. Il fallait des scènes fortes de poker, mais ces scènes auraient très bien pu être remplacées par de la boxe ou de la course automobile. On doit voir le personnage principal dans son élément, c’est l’essentiel. J’espère juste que le lecteur néophyte ne trouvera pas ennuyeuses ces scènes. De toute façon, en appelant la série « Poker », on ne trompe personne !


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Comme dans les vieux films de James Bond par exemple, les méchants appartiennent à une organisation secrète. Cette idée du complot fait toujours fantasmer ?
J.-Ch.D. Moi oui, en tout cas ! Cela fait toujours fantasmer parce qu’on ne sait rien d’eux. Quand on découvrira petit à petit ce qu’ils font vraiment, ce sera différent. Je l’ai appelé le cercle parce que ça fait organisation fermée où on entre uniquement par cooptation. Après, je me suis aperçu qu’on jouait au poker à Paris dans des cercles de jeu. Le but n’était pas de montrer un côté mafieux à ces cercles, loin de là. Mais j’aime bien le côté cercle, tu dois avoir ta carte de membre pour y entrer et ceux qui restent à l’extérieur n’ont aucune idée de ce qui peut s’y passer. D’où le fantasme qui ressurgit…



Le plus difficile est de la rendre crédible ?
J.-Ch.D.
Pour l’instant, le cercle reste un concept flou dans le tome 1. On ne le voit jamais, à part un membre éminent et quelques photos. Mais petit à petit, on en saura plus. Le scénariste doit toujours passer son temps à dissimuler des informations, à en rajouter d’autres et à en omettre certaines. C’est toute une gymnastique intellectuelle.



Le personnage de Gia reste très mystérieux. Il est important de ne pas être trop manichéen quand on crée ses personnages ?
J.-Ch.D. 
J’essaye de partir davantage sur des personnages qui m’intéressent plutôt que sur des concepts étonnants. Je pense que les personnages de thriller ne peuvent plus rester monobloc, jeunes, beaux, intrépides. Ils doivent aussi avoir leur part d’ombre. C’est généralement plus le cas dans les séries télé qu’en BD. Mais bien sûr, il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse. Depuis « Incantations » jusqu’à « Miss Endicott », j’aime bien travailler sur l’idée de personnages à multi facettes.



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Comment va évoluer la série ?
J.-Ch.D.
Pour l’instant, nous avons signé pour trois tomes, mais avons prévu de fonctionner par diptyques. Le premier se passe en France, le second à Las Vegas : j’envisage d’ailleurs d’aller aux « World Series Of Poker » en juin prochain pour préparer les tomes 3 & 4. Nous pensons que la série peut être aussi longue qu’un « IRS » si le public répond présent. Ce n’est pas une volonté de rajouter artificiellement la sauce, mais une véritable envie de notre part. Même si le public plébiscite de plus en plus les one-shots, ils aiment avoir des rendez-vous réguliers avec des séries populaires. À nous de tout faire pour que « Poker »les attire !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne



« Poker » (tome 1 « Short Stack ») de Jean-Christophe Derrien, Le Lombard, 10,40 euros.

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