Hélène Bruller: « Reconnaître ses fragilités publiquement est un superpouvoir »

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Après les hilarants « Je veux le prince charmant » puis « Je veux toujours le prince charmant », Hélène Bruller enfonce le clou avec cette décapante chronique de son parcours sentimental chaotique d’avant le prince charmant.

« Hélène Bruller est une vraie salope ». Le titre de ce troisième album est très provocateur…
Hélène Bruller. Pour moi, « salope » n’est pas de la provocation, mais le mot juste. Si j’avais voulu provoquer, j’y serais allé plus fort… Je n’ai jamais banni la grossièreté de mon vocabulaire et je l’ai toujours considérée comme un enrichissement du langage. Rien ne peut remplacer le mot « salope ». La fille qui envoie promener sans ménagement un mec amoureux d’elle ou celle qui dit des bonnes vacheries sur une copine de bureau, personne ne la traite de vilaine aujourd’hui, mais plutôt de salope. Chacun d’entre nous a utilisé ce mot au moins une fois dans sa vie, au moment où il ressentait un sentiment extrême vis-à-vis d’une personne. C’est ce sentiment que je voulais illustrer dans mon histoire.

Est-ce difficile de se mettre en scène, sans forcément se donner toujours le beau rôle?
H.B. Pour moi, ce qui est difficile c’est de me donner le beau rôle, pas le contraire. J’ai besoin d’autodérision et de me foutre de ma propre gueule. Je pense que je me débarrasse de ma bonne vieille culpabilité en expiant de cette façon. Me donner le beau rôle revient à refuser mes faiblesses et donc être vulnérable. Reconnaître et assumer ses fragilités est la plus grande des forces. Le faire publiquement est un superpouvoir. C’est ce dont je parle dans presque tout ce que je fais: dans mes albums personnels, mais aussi dans les albums pour les enfants comme les « Minijusticiers » dont j’ai fait les textes et Zep les dessins (édité chez Hachette).

C’est plus facile de faire rire en parlant de ses malheurs?
H.B. Oui parce qu’il est terriblement humain de se réjouir du malheur des autres! Ça met notre propre malheur un instant au repos. Mais je reconnais que c’est plus facile de parler de ses malheurs quand on est heureux.

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Est-ce que vous vous inspirez beaucoup de vos proches?
H.B. Comme beaucoup d’auteurs, je m’inspire de ma propre vie. Je mets parfois dans mes histoires des personnes que l’on peut facilement reconnaître (les membres de ma famille, certains amis très proches, mon mari…) mais les autres personnages sont fictifs (même si moi je sais qui ils sont). Si il y en qui se reconnaissent, c’est qu’ils ont trouvé tout seuls les points communs avec eux! Je me marre quand on me dit: « Tu m’as fait comme ceci, je ne suis pas du tout comme ça, c’est dégueulasse ». Je leur réponds: « Si tu n’es pas du tout comme ça, c’est que ce n’est pas toi que j’ai représenté, comment se fait-il que tu t’y reconnaisses? »

Est-ce que vous avez encore des amis?
H.B. J’ai toujours des amis, et même de plus en plus! J’aime les gens! J’ai un caractère de chiotte, mais paradoxalement, j’ai de plus en plus besoin d’accepter les gens comme ils sont, avec leurs défauts, d’apprendre à aimer aussi ces défauts. C’est comme ça qu’on parvient sûrement à accepter ses propres défauts et à s’aimer soi-même.

Est-il difficile de retranscrire autant d’émotions avec un dessin aussi simpliste?
H.B. Mon dessin est simple parce que l’émotion est prioritaire. Si un bras est plus long que l’autre, ce n’est pas important. Ce qui compte, c’est que la position soit la bonne et traduise une expression juste. Je ne me regarde jamais dans une glace pour faire une expression, le résultat est toujours mauvais. Je fais la grimace pour ressentir la tension des muscles du visage et, en même temps, je dessine en essayant d’imaginer ce que représentent les plis que je sens sur ma peau.

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Quel retour avez-vous eu de vos lecteurs sur les deux premiers tomes?
H.B. J’ai surtout des lectrices qui me disent « c’est tout à fait moi » et quelques lecteurs qui disent « c’est tout à fait ma copine ». Chacun y trouve une jubilation: les femmes, celle de se sentir comprises par une autre, de ne pas être les seules à avoir des sentiments ou une attitude pas toujours honorables, les hommes d’être autorisés par les femmes elles-mêmes à se foutre de leur gueule.

Est-ce une BD de fille d’abord pour les filles?
H.B. C’est une BD de fille, alors je suppose que la connivence est plus immédiate avec les filles. Comme si raconter mes histoires dans mes cases et les savoir lues par d’autres femmes était une nouvelle forme d’amitié entre deux personnes qui ne se connaissent pas. C’est magique. Quant aux mecs, quand je les vois gentiment patienter pour obtenir une dédicace, je me dis: « Toi mon petit gars, tu essaies d’entrer en contact avec les extra-terrestres de la planète touffe, tu souris de sérénité en attendant ta dédicace donc tu n’as pas peur et ça fait de toi l’aventurier le plus sexy de la Terre ».

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

« Hélène Bruller est une vraie salope » par Hélène Bruller, Vent des savanes, 13,90 euros.

Lire aussi notre chronique de l’album

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