Christian Perrissin: « Véra est une femme ordinaire qui finit par avoir une vie extraordinaire »

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Dans ce deuxième cycle d' »El Niño », Christian Perrissin dévoile de nouvelles facettes de son héroïne en déplaçant Véra dans une mission humanitaire en Afghanistan. Richement documentée et extrêmement crédible, cette nouvelle aventure mêle habilement la vie personnelle de la belle Véra et les enjeux géopolitiques d’une région tourmentée.



Est-ce que ce deuxième cycle était prévu dès le départ?
Christian Perrissin. Non, bien sûr. Si le premier cycle n’avait pas trouvé son public, je ne pense pas que l’éditeur aurait souhaité poursuivre avec un second cycle. Pour les auteurs, c’est un peu différent. Véra est un personnage auquel Boro et moi sommes attachés et avant que le premier cycle ne se termine, nous souhaitions déjà développer un autre récit plus centré sur l’humanitaire.

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Le choix de l’Afghanistan s’est rapidement imposé?
Ch.P. Quand j’ai imaginé ce récit, en 2003/2004, l’Afghanistan n’était pas au cœur de l’actualité internationale comme c’est le cas aujourd’hui. Il était alors surtout question de l’Irak. Je voulais évoquer l’Afghanistan parce que c’est un pays qui me fascine depuis mes lectures de « L’homme qui voulut être roi » (Kipling), « L’usage du monde » (Nicolas Bouvier), ou le documentaire de Christophe de Ponfilly (« Massoud l’Afghan »). Pour Boro (Pavlovic, ndlr), après un long cycle maritime, il importait de changer radicalement de décor et les montagnes de l’Hindou Kouch l’inspiraient bien. 


Ce deuxième cycle est assez différent, davantage centré sur l’histoire d’un pays alors que le premier racontait la quête de l’héroïne. C’était obligatoire pour éviter de se répéter?
Ch.P. Nous voulions surtout éviter de tomber dans le piège de la relance autour du frère. Est-il vraiment mort ou pas ? C’est Véra le personnage essentiel d' »El Niño » et dans ce nouveau cycle, elle révèle d’autres facettes de sa personnalité.



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Certaines planches rappellent forcément « Le Photographe » de Guibert puisqu’il s’agit des mêmes paysages. Cela a été une influence ou au contraire une référence embarrassante?
Ch.P. « Le Photographe » a été un problème pour moi parce que j’ai découvert le travail de Guibert en cours d’écriture de ce cycle et j’ai beaucoup aimé l’aspect documentaire et le mélange photos/dessins. Initialement, Drancourt, le reporter présent dans les deux albums, devait avoir un rôle plus important et ses photos aussi. Il était notamment question de voir régulièrement ses photos illustrer certaines séquences. Mais, après lecture du « Photographe », ce n’était plus possible. Du coup, Drancourt traverse l’histoire en ne prenant quasiment aucune photo parce que les moudjahidin lui cassent son appareil.



La fiction se mélange ici avec la réalité historique. Il est important d’apprendre peut-être quelque chose au lecteur, de lui proposer un BD « intelligente »?
Ch.P. Une BD n’est pas plus intelligente parce qu’elle est hyper documentée. C’est extrêmement difficile de raconter une bonne histoire tirée de sa seule imagination et j’envie les auteurs qui y parviennent. Si « El Niño » est aussi documenté, c’est parce que les thèmes choisis l’imposent. La vie de Véra est ancrée dans une réalité contemporaine, il faut que ça sonne juste, vrai. Le lecteur doit avoir l’impression que Véra n’est pas un personnage de fiction et qu’elle s’est vraiment rendue dans les pays traversés. Tout faire pour éviter les clichés et les décors cartes postales.



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Le profil de Vera est assez atypique. Elle n’est pas millionnaire, flic ou avocate. Il était aussi important de créer un personnage un peu différent des standards?
Ch.P. C’est une jeune femme ordinaire qui finit par avoir une vie extraordinaire. L’humanitaire permettait de parcourir la planète et vivre des situations parfois extrêmes sans avoir comme protagoniste une professionnelle de l’aventure. 



Que saviez-vous de l’humanitaire?
Ch.P. Je n’ai aucune expérience dans l’humanitaire et j’ai longtemps eu un immense respect pour ce milieu. Et puis, à force de me documenter, j’ai réalisé que derrière cet immense élan de générosité se cachent des enjeux, des ambitions personnelles, le besoin pour beaucoup de donner un sens à leur vie. L’humanitaire, c’est une histoire d’êtres humains avec leurs bons et mauvais côtés, ni plus ni moins. 



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Est-ce que d’autres cycles sont prévus ? Est-ce que comme Tintin, elle pourrait voyager de région en région sans véritable fil conducteur?
Ch.P. Aujourd’hui, je n’ai aucune idée de ce que pourrait être la suite de la vie de Véra. Il ne faudrait surtout pas qu’elle devienne un personnage de série. Peut-être la retrouvera-t-on dans quelques années, elle approchera de la quarantaine et ne travaillera plus du tout dans l’humanitaire. J’ai beaucoup lu « Tintin » et « El Niño » est forcément influencé par le travail d’Hergé. Notamment par le fait de tout mettre en œuvre pour donner l’impression que les auteurs sont allés dans les pays traversés par leurs personnages. C’est ce qui me fascinait chez Hergé. Son Tibet ou son Pérou sonnent juste alors que tout a été imaginé dans un bureau de Bruxelles.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

« El Niño » (tome 7. « Les Passes de l’Hindou Kouch »), de Perrissin et Pavlovic, éd. Les humanoïdes associés , 12,90 euros.

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