Quatre auteures de BD refusent leurs insignes de chevaliers des Arts et des Lettres

Après Tanxxx, c’est Julie Maroh, Chloé Cruchaudet et Aurélie Neyret qui dénoncent une tentative de récupération après la polémique au festival d’Angoulême sur la place des femmes dans la bande dessinée.

Aussitôt annoncée la liste des huit créateurs et créatrices de bande dessinée bénéficiant d’une promotion exceptionnelle dans l’ordre des Arts et des Lettres – Julie Maroh, Chloé Cruchaudet, Aurélie Neyret, Tanxxx, Marguerite Abouet, Christophe Blain, Mathieu Sapin et Riad Sattouf -, Tanxxx avait réagi sur Twitter (puis ensuite sur son blog) par un « Chevalier mon cul, que crève l’état et son ministère ».

Il faut dire que les cinq auteures concernées font, comme par hasard, partie du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme qui avait appelé au boycott de l’élection du Grand Prix de la ville d’Angoulême qui ne comportait aucun nom de femme dans la liste des nominés. Quant à Riad Sattouf et Christophe Blain, ils figurent parmi ceux qui se sont retiré de la liste en signe de désaccord.

Trois autres récipiendaires, Julie Maroh, Aurélie Neyret et Chloé Cruchaudet, viennent elles aussi d’annoncer leur refus d’être élevées au rang de chevalier. « Je ne veux plus en entendre parler, et je souhaite être retirée de cette liste » a ainsi simplement déclaré Chloé Cruchaudet (« Mauvais genre »). Sur son blog, Julie Maroh (« Le bleu est une couleur chaude ») a écrit: « Si là soudainement et dans ce contexte un ministère comptait me faire croire que mon « art » mérite une médaille de la part du pouvoir politique en place, non seulement je me sentirais instrumentalisée mais de surcroît insultée dans mon intelligence. Qu’on n’essaye pas de me faire avaler ça, qu’on n’invoque pas mon talent lorsque la récupération politique est flagrante. J’ai 30 ans, merde ! J’ai publié deux romans graphiques, « d’esthétiques » ni singulières ni abouties, je n’ai pas fini de « m’engager » et surtout je ne suis le « symbole » de RIEN. »

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Même sentiment pour Aurélie Neyret (« Les Carnets de Cerise ») qui a déclaré sur son Facebook: « Je ne suis pas dupe, je sais que ce n’est pas de mon travail dont il est question ici, mais simplement de récupération politique. Sans ce contexte particulier, je ne me serais jamais retrouvée « élevée » au rang de Chevalier, et même dans ce contexte, je ne vois pas en quoi j’ai mérité une médaille. » Et de rappeler: « Au delà de l’aspect illégitime et politique de la récompense, on notera que pour recevoir le titre (en supposant qu’on y soit invités personnellement un jour), il faut payer une centaine d’euros. Sérieusement ? Au lendemain de la révélation de l’étude menée par les Etats Généraux de la BD, qui montre que plus d’un auteur sur deux n’arrive pas à vivre de son métier, que la moitié des femmes auteures de BD vit en dessous du seuil de pauvreté, que le RAAP nous a imposé une réforme qui finira de saigner à blanc la profession, la réponse du Ministère est de nous donner -non pardon de nous vendre- des médailles ? J’espère vraiment que ça n’est pas là leur seule réponse, les femmes et les hommes dans la Bande Dessinée ont besoin de mesures concrètes, pas de poudre aux yeux ! »

En revanche et à l’instar de Marguerite Abouet (« Aya de Yopougon »), Mathieu Sapin, Christophe Blain et Riad Sattouf comptent bien accepter l’insigne. « Je refuse de participer soit à un débat violent soit d’être vu comme un collabo. (…) Je n’ai pas à me justifier alors que je n’ai rien demandé » a répondu Sapin interrogé par Libération. Au quotidien également, Blain a déclaré qu’il n’avait pas à « justifier » sa décision, traitant la polémique d’« hystérie ridicule ». Quant à Sattouf, qui estime avoir « grandi en étant aidé par l’État républicain », il a déclaré sur son compte Facebook, qu’« en cette période où l’État républicain est attaqué et fragilisé de toutes parts, moi, j’ai plutôt envie de lui dire merci: j’ai mon sens de la reconnaissance. » Il a toutefois précisé qu’il profiterait de l’occasion pour « parler directement à la ministre actuelle, de la réforme du RAAP et de l’appauvrissement des auteurs, et exiger des réponses claires de sa part. »

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