Pierre Pelot: « Ecrire, c’est déjà faire quelque chose »

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Deux Lorrains ont inauguré la nouvelle collection Rivage/Casterman/Noir avec l’adaptation BD du roman « Pauvres Zhéros ». Inspiré par une triste réalité, Pierre Pelot y tissait un drame sordide dans un petit bourg des Vosges et remuait les tripes de ses lecteurs. Baru lui offre une mise en images sublime.

Est-ce frustrant de voir un dessinateur s’approprier son roman ?
Pierre Pelot:Dans le cas de Baru, c’est plutôt un vrai bonheur. Quand je lui ai donné le roman, je savais qu’il allait en faire quelque chose de chouette, car nous sommes en général sur la même longueur d’ondes. Il a élagué un peu le roman et traduit avec des images une histoire écrite uniquement avec des mots. Pour les paysages, Baru est venu prendre plein de photos à St-Maurice-sur-Moselle, même si le véritable lieu de l’orphelinat sauvage était plutôt Bussang. C’est sa manière de travailler quand une histoire se situe dans un lieu géographique précis et réel. Au fur et à mesure que je découvrais les planches, je pouvais ainsi reconnaître différents endroits du coin.
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Comment est né « Pauvres zhéros » ?
P.P.:Mon fils est né dans un complexe qui regroupait un hospice, un internat et une maternité. Lors d’une visite, j’ai entendu crier un enfant. Il était enfermé dans le sous-sol de la chapelle. Agrippé aux barreaux de la fenêtre au ras du sol, il hurlait qu’on le sorte de là. C’était une image terrible. Sur le coup de la colère, j’ai commencé à écrire « Pauvre zhéros » en me focalisant sur les personnages. C’était une manière détournée de s’intéresser à l’histoire. Ce sont les personnages qui font l’histoire et non l’inverse.



Vous vouliez aussi dénoncer ce qui se passait dans cet orphelinat ?
P.P.:Disons plutôt que je voulais apporter un éclairage sur certains évènements. Pour certains sujets, cela peut être une tentative de dénonciation, même si on n’est pas forcément persuadé de son utilité. Mon roman n’a par exemple rien changé. Je ne suis d’abord pas certain que les personnes concernées l’ont lu. De toute façon, on ne change pas les choses par la littérature. Il faut arrêter de rêver, car on n’a pas ce pouvoir.



Dans « Pauvre zhéros », les coupables sont aussi tous ceux qui savaient, mais ne disaient rien…
P.P.:Il y a beaucoup d’événements lamentables où des gens sont au courant, mais ne font rien. Peut-être qu’écrire sur ce sujet, c’est déjà faire quelque chose. Je serais vraiment heureux que cela provoque un déclic chez un lecteur. Concernant l’établissement en question, il a été rénové. Mais, le problème demeure, car il y en a d’autres dans la région où ce n’est peut-être pas tout à fait rose pour des vieillards par exemple…
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Écrit dans les années 80, « Pauvre zhéros » trouve encore aujourd’hui largement écho dans l’actualité. C’est une vision très pessimiste de l’évolution de la société ?
P.P.:Depuis quelques années, je découvre que certains de mes scénarios les plus dingues se sont réalisés. L’histoire de cette Autrichienne enfermée dans une cave pendant vingt-quatre ans par son père ressemble fortement à une histoire que j’ai écrite, il y a une quinzaine d’années. À l’époque, je trouvais que c’était l’horreur absolue et je ne pensais jamais que cela pourrait se produire un jour. Le découvrir dans l’actualité m’a fait un très étrange effet.



Quelles lectures conseilleriez-vous à ceux qui ont découvert Pierre Pelot avec cette BD ?
P.P.:J’ai surtout envie qu’ils découvrent cet album et y prennent du plaisir, car c’est magnifiquement mis en image. S’ils ricochent vers d’autres albums de Baru ou certains de mes autres romans, c’est aussi très bien. Ils peuvent d’abord lire le roman « Pauvre zhéros » qui vient de ressortir chez Rivage. C’est plus dense que la BD avec des éclairages différents sur certains personnages et une colonne vertébrale plus étoffée. Sinon, ma grande fierté est « C’est ainsi que les hommes vivent » (NDLR : un pavé historique qui se déroule dans les Vosges au XVIIe siècle, entre procès de sorcellerie et guerre de Trente Ans). C’est LE livre de Pierre Pelot. Je n’écrirai jamais plus un roman comme cela…



Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne



« Pauvres zhéros » Par P. Pelot & Baru, Editions Casterman (15,95€)

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