Nena : « La déconnexion des élites »

Dans « Homo politicus », un ministre déchu pour une bête histoire de détournement de fonds publics se retrouve face à une conseillère de Pôle emploi pour retrouver du travail. Sa confrontation à la réalité sociale alimente tous les gags de cet album aussi drôle qu’effrayant (car certainement pas très éloigné de la réalité).

Quel a été le déclic qui vous a donné envie de raconter cette histoire de ministre plongé dans la vraie vie ?
Nena.
Je me souviens surtout que l’idée est née un jour d’ennui abyssal ! J’ignore d’où est venu le sujet, mais ce dont je me rappelle, c’est que j’ai aussitôt trouvé que ce personnage avait un bon potentiel comique, et que le sujet était un excellent défouloir. Ça me changeait de jurer à côté de la radio.

Toutes ressemblances avec des personnages existants sont évidemment fortuites ?
N.
Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler ! Plus sérieusement, le personnage de cet album est plutôt une synthèse de plusieurs personnalités. Le but n’était pas de cibler quelqu’un, ce qui aurait été un tout autre exercice… Mon vrai sujet, c’est la déconnexion des élites avec la réalité sociale. Le fait que les exemples soient si fréquents est révélateur que le problème est bien réel. Parce que bon, « Quand y’en a qu’un, ça va… », comme dirait l’autre.

Beaucoup de situations rappellent des faits d’actualité… Cela donne l’impression qu’il est presque facile de trouver des idées, non ?
N.
Malheureusement oui, il n’y avait qu’à se baisser pour ramasser… La difficulté fut justement de dépersonnaliser tout ça, et de rester léger dans le ton !

Vous avez choisi de publier cette grande histoire via des strips de quatre cases qui se terminent toujours par un gag. C’est un moyen de maintenir le rythme sur vos 96 pages ?
N.
J’adapte le format à mon sujet, et pas au nombre de pages. Le strip est bien souvent mon format de prédilection. Ici, la question ne s’est même pas posée : l’écriture a immédiatement débuté sur du quatre cases. Je n’aurais pas su faire autrement.

Avec « Homo politicus », vous n’êtes malheureusement parfois pas très loin de la vérité…
N.
Si j’ai choisi d’en rire dans la BD, c’est plutôt, au quotidien, prodigieusement agaçant. Et très problématique en termes d’état de droit. La question que je me pose, c’est de savoir si ces attitudes sont dues à un cynisme assumé, ou si l’entre-soi a complètement grillé la conscience sociale de nombres de nos politiciens. Je pense qu’il y a des deux. Mais bon, au lieu de me torturer la cervelle, j’ai plutôt choisi d’en rigoler. C’est une autre façon de faire. Et c’est très bon pour la digestion.

Est-ce que ce décalage entre le politique et le citoyen n’explique pas la montée en puissance de l’abstention ?
N. Là on peut partir sur des dizaines de débats : celui du casier judiciaire des élus, celui de la prise en compte du vote blanc, celui du droit à manifester sans perdre un œil… Je suis scénariste, et pas politologue, alors je m’en tiendrai à cette bête conviction à savoir que toutes les formes d’expressions sociales devraient être prises en compte, et le vote en est une parmi tant d’autres.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Homo politicus » par Thibaut Soulcié et Nena. Fluide Glacial. 9, 90 euros.

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