Max Cabanes: « Coller à l’esprit de Manchette »

Pour le dessinateur Max Cabanes, on n’adapte pas Manchette, on le traduit. « Nada », sa troisième collaboration avec Doug Headline, raconte l’enlèvement d’un ambassadeur américain par un groupe d’extrême gauche et confirme le talent du duo à retranscrire l’ambiance très sombre du maitre du néo-polar. 


nada0.jpgPour le dessinateur Max Cabanes, on n’adapte pas Manchette, on le traduit. « Nada », sa troisième collaboration avec Doug Headline, raconte l’enlèvement d’un ambassadeur américain par un groupe d’extrême gauche et confirme le talent du duo à retranscrire l’ambiance très sombre du maitre du néo-polar.



C’est votre troisième adaptation de Manchette. Qu’est-ce qui vous plait dans ses romans ?
Max Cabanes. Le style déroutant, corseté et rigoureusement classique par moments, puis sobre jusqu’à la sécheresse, l’ascèse. Ensuite, l’absence de psychologie, juste des faits et des actes. L’intériorité des personnages est toujours subliminale, le non-écrit est très présent jusqu’à hanter le lecteur. Très vite arrive le sentiment que Manchette maîtrise les facettes sociales, politiques, mais qu’il laisse ses personnages lui fausser compagnie, avoir d’autres perceptions que son projet de plume. Dans l’espace de ses romans, les personnages agissent comme s’ils se savaient vrais, comme s’il n’y avait « ni dieu, ni maître, ni écrivain ». Imparable !

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Est-ce difficile de retranscrire l’esprit de Manchette dans une bande dessinée ?
M.C. Chez Manchette, on ne peut rien enlever, rien ajouter… Il a déjà fait ce travail, qui est consubstantiel à son style. Si on pense adapter en enlevant, en ajoutant, en changeant, on perd Manchette. Donc, il s’agit plutôt de traduire l’auteur, en prenant soin de faire seulement confiance à son émotion de lecteur et rien d’autre. L’objectivation, ici, revient à coller à l’esprit de Manchette. Ensuite, il y a les interactions entre le texte et le dessin qui vont permettre quand même des choix, mais sans ne jamais surtout changer la couleur Manchette qui est la base. Dans les albums, c’est d’abord du Manchette qui doit être « vu ».

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Est-ce que « Nada » est un polar important dans l’œuvre de Manchette ?
M.C. J’ai lu quelque part, dans une revue spécialisée, que « Nada » avait été élu « meilleur polar de tous les temps ». Mais pour faire plus sérieux, voilà ce que Manchette en pensait : « Quand je considère « Nada », près de quinze ans après que je l’ai écrit, il me semble que c’est toujours un roman noir assez convenablement exécuté, mais que son aspect « politique » (ou plutôt, civique) est insuffisant et caduc, et que cet aspect était déjà insuffisant lorsque j’ai écrit ce roman (…) Caduc parce qu’il oublie étourdiment d’envisager la manipulation directe du terrorisme par les services secrets de l’Etat, au besoin contre ses propres sujets et même ses propres dirigeants, comme on l’a vu en Italie dans l’affaire Moro et les soi-disant « Brigades rouges » ».



Est-ce que vous travaillez uniquement avec le scénario de Doug Headline ou également avec le livre original ?
M.C. Nous travaillons ensemble, Doug et moi. Le découpage, le choix des textes narratifs et des dialogues donnent lieu parfois à des discussions par mail ou par téléphone lorsqu’il m’arrive de confronter les choix de Doug aux passages du livre. Ce qui est fréquent. Les échanges sont très ouverts.



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Vous avez aussi regardé l’adaptation cinématographique de Claude Chabrol ?
M.C. J’ai regardé le générique. C’est tout, car j’ai aussitôt pensé que ce serait la pire des choses à faire.
Comment est-ce que l’on imprime sa patte quand on adapte Manchette?
M.C. J’ai dessiné mes sentiments, mes émotions de lecteur. La question se pose quand même : y a-t-il un habillage graphique adéquat ou idéal, pour adapter un auteur donné ? Peut-être bien… Certains ont appliqué ça avec une certaine réussite. Pour moi, l’aspect technique doit être immanent, sans plus.

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Est-ce que vos souvenirs de cette France des années 70 vous ont aidé à retranscrire l’atmosphère de « Nada »?
M.C. Je ne peux pas faire sans documents, ne serait-ce que pour certains objets ou véhicules, vêtements, architecture… Par contre, le ressenti, la note juste d’une époque, il faut l’avoir vécue, bien sûr.



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« Nada » parait en un seul tome de 150 pages…
M.C. Il est difficile de couper un récit qui monte en intensité, qui prend le temps. Le principe du roman, contrairement au principe des séries, n’est pas basé sur des rebondissements, ce qui en fait un corps global insécable.


Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Nada » par Cabanes et Manchette. Dupuis, Aire Libre. 28,95 euros.

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