Mathieu Mariolle: «Un modeste hommage aux chefs d’œuvre de Verne et Kipling»

A l’occasion de la sortie du troisième et dernier tome de « Nautilus », son scénariste Mathieu Mariolle revient sur la genèse de cette série d’espionnage où le capitaine Nemo de Jules Verne croise Kim crée par Rudyard Kipling. Un pari audacieux qui s’avère payant tout au long de cette excitante course-poursuite pleine de rebondissements.

Qu’est-ce qui vous plait à inventer de nouvelles histoires à des personnages déjà existants comme ici Nemo de Jules Verne et Kim de Rudyard Kipling?
Mathieu Mariolle.
En tant que lecteur, j’ai toujours aimé les récits apocryphes, qui reprenaient ce genre de personnages mythiques. En tant que scénariste, c’est toujours un défi de se frotter à un univers déjà existant, tout en essayant d’apporter une touche personnelle. Le capitaine Nemo est un personnage qui m’a toujours fasciné pour son côté entier. Jules Verne a imaginé l’un des premiers combattants de l’ombre, au service d’une cause pour laquelle il est prêt à tout sacrifier. C’est un caractère qui m’intrigue et une thématique dont j’avais envie de parler. Quant à Kim, c’était un de mes héros d’enfance et Kipling est l’un de mes auteurs fétiches. L’envie d’imaginer ce que le jeune Kim serait devenu une fois adulte, à travers l’espionnage, le Grand Jeu, l’Inde coloniale m’a mené au capitaine Nemo.


On peut être surpris de retrouver ces deux personnages de fiction dans la même histoire. Comment est-ce arrivé?
M.M.
C’est un hasard, ce qui arrive souvent quand on écrit. On cherche quelque chose et on trouve totalement l’inverse. J’avais envie de travailler sur l’Inde et la colonisation anglaise. Je cherchais un angle d’attaque original et l’idée de poursuivre les aventures de ces deux personnages mythiques s’est imposée. Nemo est le premier révolutionnaire indien (de fiction) tandis que Kim incarne le modèle idéal d’un jeune britannique élevé à l’indienne, s’épanouissant dans les deux cultures. C’est donc une opposition entre un refus total de la soumission à une autre culture et un mélange idéalisé inventé par Kipling.
La rencontre de ses deux visions de l’Inde me semblait inéluctable. Kim, héraut du Raj britannique tant vanté par Kipling et le capitaine Nemo, premier combattant de l’indépendance, génie tout-puissant maîtrisant à la perfection la technologie et la science magnifiées par Verne. L’idée de les associer dans un même récit peut surprendre, mais plusieurs thèmes rejoignent les œuvres originales dont ils sont issus.


Quels sont ces thèmes?
M.M.
L’identité, tout d’abord est un thème majeur des deux romans. Nemo est un prince indien ayant choisi de se débarrasser de son nom et de ses origines, pour se cacher derrière le mot latin signifiant « personne ». Kim est un jeune Irlandais né en Inde, toujours perdu entre ses deux nationalités. Kipling pensait qu’entre l’inné et l’acquis, l’inné dominait. Peu importe les expériences de la vie, ce avec quoi nous sommes venus au monde l’emportera toujours. Quoi de mieux que les braises de l’indépendance de son pays et une rencontre sous haute tension avec le capitaine Nemo pour mettre à l’épreuve cette théorie ?
L’autre point commun de ces deux univers est la thématique de l’éducation, de la transmission. Qu’elle soit scientifique ou émotionnelle. Plonger dans les romans de Verne ou de Kipling m’a marqué et a façonné ma vision de la littérature et du monde. Rudyard Kipling est bien plus connu pour son « Livre de la jungle », passant pour beaucoup pour un écrivain pour enfants. Encore un point commun avec Jules Verne ! Il faut dire que j’ai toujours eu beaucoup d’affection pour les auteurs majeurs qu’on relègue dans cette cour de récréations d’amuseurs pour culottes courtes, aux côtés de Jack London ou Alexandre Dumas.


Est-ce que vous vous imposez des contraintes pour rester au plus proche de la personnalité de ces héros?
M.M.
Quand on nous prête des jouets, il est capital de ne pas les casser. Donc pour moi, il était impensable de trahir les personnages et ces deux auteurs. Jules Verne a fait rêver des générations de lecteurs et lectrices et il continue toujours à nourrir mon imaginaire. Avec le capitaine Nemo, il a créé un personnage totalement fascinant. Le faire agir, le faire parler, utiliser sa volonté de vouloir changer le monde par tous les moyens ne sont bien évidemment que de modestes hommages au chef d’œuvre dont il est issu, et une envie de prolonger le plaisir pris à dévorer ce roman. En revanche, Kipling achève l’histoire de Kim en pleine adolescence. J’avais donc une plus grande marge de manœuvre pour imaginer l’homme qu’il était devenu, en partant du chemin tracé par Kipling. Là encore, il ne fallait rien trahir, mais rendre hommage et se l’approprier.


Le premier tome de cette série est un peu différent des deux suivants avec un scénario plus axé sur l’aventure qui se déroule loin des océans. Cela a été un problème pour une série qui s’intitule « Nautilus » ? C’est ce qui explique les quatre premières pages d’introduction dans les profondeurs de l’océan?
M.M.
Le prologue du tome 1 était en effet une manière de donner un peu plus de Nautilus et d’aventures sous-marines. Il s’agissait aussi d’une envie très cinématographique de s’offrir un pré-générique, plaçant le lecteur immédiatement sous tension et dans le ton de ce que sera la série. Je n’ai jamais vu ce premier tome d’aventure terrestre comme un problème ou comme un frein. Il y a beaucoup d’éléments de l’histoire à poser dans ce premier chapitre et avec Guénaël, nous avions aussi l’envie de beaucoup voyager, d’évoluer dans des environnements très différents, de passer de l’Inde à la Russie, en passant par le Népal, de villes en jungles puis en plaines glacées.

« Nautilus » est d’abord un récit d’espionnage où chaque protagoniste cache bien son jeu. Est-ce difficile de surprendre le lecteur sans pour autant le perdre dans une histoire trop compliquée?
M.M.
J’espère que les lecteurs n’auront pas été perdu, justement. Je trouve que c’est un atout pour écrire une histoire car tous les personnages mentent et jouent un jeu, ce qui permet de beaucoup jouer sur les subtilités des caractères et des réactions de ces personnages, sur le double-sens de nombreux dialogues. Cela crée une connivence avec le lecteur qui est parfois au courant de ces double-jeux et trahisons. Après, nous avons malgré tout tenu à raconter une histoire qui ne soit pas trop alambiquée. Nous voulions rester au cœur des émotions des personnages et traiter leurs motivations personnelles au plus proche : retrouver sa famille, rétablir son innocence, libérer son pays. Ce sont des sentiments qui peuvent être universels.


Vous avez découvert Guénaël Grabowski car vous faisiez partie de son jury de fin d’études. Qu’est-ce qui vous a séduit dans son dessin?
M.M.
En effet, j’ai eu la chance d’être invité comme juré de l’école Pivault, il y a quelques années. Et le premier étudiant à me présenter son travail fut Guénaël. J’ai tout de suite aimé son encrage puissant, ses cadrages très bien sentis et son sens du mouvement. En plus, en discutant avec lui, j’ai tout de suite vu que nous avions de nombreuses références en commun, un terreau fertile sur lequel imaginer une collaboration.


Quelles consignes lui avez-vous donné pour représenter le Nautilus ? Ces planches sont magnifiques…
M.M.
Je vais avoir beaucoup de mal à contredire cette affirmation. Guénaël a réalisé un travail de titan sur ces trois albums. Quant au Nautilus, on y a beaucoup réfléchi ensemble. On a croisé de nombreuses références de tous horizons, en regardant des navires de cette époque, mais surtout en cherchant à en faire un personnage à part entière. Après tout, la série porte son nom ! Nous avons tenté de lui donner une apparence organique, en s’inspirant d’animaux, de plantes. Nous avons vite abandonné l’idée de lui donner une masse crédible, puisque le sous-marin décrit par Jules Verne lui-même serait incapable de se déplacer sous l’eau tant il serait lourd et imposant. Cela nous a permis de laisser libre cours à notre imagination et Guénaël est parvenu à trouver de superbes idées graphiques comme ces puits de lumière intérieurs qui contrastent avec les sombres abysses, ou bien ces enchevêtrements de tuyaux et de câbles qui font penser à un réseau de vaisseaux sanguins et de boyaux. Comme dans un animal vivant.


« Nautilus » est aussi une série politique axée sur la rivalité coloniale entre la Russie et la Grande-Bretagne au XIXe siècle, ce qui vous permet de dénoncer le colonialisme dont a souffert l’Inde…
M.M.
La France ayant été une grande puissance coloniale, ce serait déplacé de ma part de donner des leçons à nos amis anglais sur ce sujet… D’autant plus qu’un siècle après, il est plus facile de juger. En revanche, il me semblait important de parler de l’oppression d’une culture par une autre, de la captation des richesses d’un pays. A cette époque, l’Inde n’est qu’un gâteau que Russes et Britanniques veulent se partager. De nos jours, de telles situations se produisent de nouveau, pas uniquement sur le plan diplomatique, mais aussi économique. Traiter de l’histoire de l’Inde à cette époque sans évoquer les ravages du colonialisme, aux regards d’un siècle de travaux sur le sujet, serait être complètement à côté de son sujet.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Nautilus, tome 3 » par Mathieu Mariolle et Guénaël Grabowski. Glénat. 14,95 euros.

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