Loulou Dedola: « La rencontre entre un criminel et un jeune footballeur »

Loulou Dedola connaît parfaitement tous les rouages des mafias calabraises ou siciliennes. Père de deux apprentis footballeurs, il s’intéresse aussi de près au milieu du ballon rond. Avec « Le Sarde », il mêle ces deux mondes sans pitié dans un polar bien ancré dans le réel.

Au début du projet du Sarde, vous vouliez écrire sur la mafia ou sur le football?
Loulou Dedola.
Plutôt que de partir de la mafia, du sport ou même simplement de l’écriture d’un polar, je me suis d’abord intéressé au parcours croisé de mes deux personnages. J’ai l’habitude de travailler comme cela. Ce récit est né de cette rencontre entre un criminel et un jeune footballeur.

On devine que vous êtes fan de football…
L.D.
Absolument. J’ai joué toute ma vie au foot et j’ai deux enfants qui évoluent dans des clubs professionnels. Baptiste a disputé deux matchs de Ligue 2 avec l’AC Ajaccio et Giacomino évolue avec les jeunes de Grenoble. C’est l’une de mes plus grandes passions. Comme disait Albert Camus, tout ce que je sais des êtres humains, je l’ai appris sur un terrain de football.

Comme dans « Jeu d’Ombres », votre histoire se déroule dans la banlieue lyonnaise. Cette proximité géographique est importante pour vous?
L.D.
Cela m’est indispensable. Je déteste écrire à partir d’internet. Quand j’ai un fait un bouquin sur la Jamaïque, je suis allé là-bas enquêter dans le ghetto. En plus, j’ai une vraie passion pour Lyon. C’est une belle ville à dessiner. Il y a deux fleuves, une colline et toutes ces banlieues proches du centre-ville. J’aime cette ville et j’aime la raconter.

Votre agent de joueur Julien Donogrio s’inspire beaucoup du belge Lucien D’Onofrio, condamné à plusieurs reprises pour blanchiment. Vous partez toujours de faits réels?
L.D.
Je l’ai appelé Donogrio par pur hasard (rires). Sérieusement, je trouvais que c’était un nom qui sonnait bien. Mais, mon personnage n’a rien en commun avec cet agent. Ce n’est pas biographique. Lucien d’Onofrio n’a rien à voir avec le trafic de drogue. J’aime bien faire ce type de clin d’œil. C’est une manière de dire aux gens qui remettent souvent en doute le caractère réaliste de certaines intrigues, qu’il suffit de changer une lettre pour que cela existe.

C’est aussi le cas pour cette guerre entre deux branches de la mafia?
L.D.
Bien sûr. On connait cela à Grenoble, à Lyon ou à Marseille. Aujourd’hui, les parrains ne se font plus la guerre, mais sous-traitent via leurs caïds sur le terrain. C’est une sorte de parabole de la géopolitique. Joe Biden et Vladimir Poutine ne vont pas se faire la guerre mais plutôt batailler en Crimée ou en Ukraine. Le génie de notre personnage, c’est de sentir que la diaspora sicilienne a disparu et ne permet plus à sa mafia de régner par le nombre. Aujourd’hui, Grenoble n’appartient plus aux Siciliens. Leurs pizzérias sont désormais tenues par des Arabes.

Quel est le rôle du Sarde?
L.D.
Dans le monde du cinéma, il serait une sorte de producteur délégué de la mafia calabraise. La force de la ‘Ndrangheta, c’est sa faculté à déléguer habilement à des professionnels qui entrent en contact avec des gangs. Cette guerre de gangs s’intègre dans une politique globale des mafias qui ne vont plus à l’affrontement direct et qui d’ailleurs s’entendent même avec leurs concurrents.

Le Sarde est un mafieux. Est-ce compliqué de le rendre attachant sans minimiser ses actes de violence?
L.D.
Le Sarde a tué, mais ce n’est pas un tueur. Ce n’est pas son métier. D’ailleurs, il le dit au début de l’album. Dans la vie, il y a deux sortes de gens: ceux qui jettent de l’huile sur le feu et ceux qui jettent de l’eau. Moi, je jette de l’eau. De préférence, je jette de l’eau… C’est un pacifique. Quand il accepte de faire la guerre aux Siciliens, il sait très bien que la décision est déjà prise et qu’on est en train de le tester pour savoir s’il est l’homme de la situation. Ne pas intervenir pourrait lui être reproché plus tard. C’est aussi cela la mafia. C’est de la politique.

C’est aussi l’histoire d’un homme au destin tragique…
L.D.
Plus qu’un tueur, c’est quelqu’un qui veut se venger. Il n’a pas tiré les bonnes cartes. Il a dit un mot qu’il ne fallait pas dire. On retrouve l’idée de destiné. Il doit aussi vivre avec la mort de tous ses gamins qu’il envoie se faire flinguer. C’est terrible pour lui. C’est un personnage extrêmement intéressant. Je dois avouer malgré tout que je l’aime beaucoup. Mais, il faut lire le livre pour comprendre mon sentiment.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Le Sarde » par Lou Dedola et Lelio Bonaccorso. Glénat. 19 euros.

Share