Jérémy : « J’aime avant tout les personnages »

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Dans l’excellente série « Barracuda », Jérémy apprécie de s’amuser à dessiner les sales gueules des pirates, mais prend surtout du plaisir à suivre l’évolution de ses personnages. 


Vous avez débuté comme coloriste avec Jean Dufaux sur Murena. C’est vous qui lui avez parlé de votre envie de dessiner des pirates ?
Jérémy. Je lui ai avant tout parlé de mon envie de faire de la BD. Le genre pirate m’a toujours intéressé, mais je ne pensais pas l’aborder à ce moment-là. C’est en lui présentant mon travail qu’il s’est montré intéressé à la vue d’une planche se déroulant dans un univers de pirate, que j’avais réalisé pour un concours. Jean avait ce projet dans ses tiroirs depuis quelques années et il attendait de trouver un dessinateur qui aurait la sensibilité adéquate pour mettre en scène son histoire. Le soir même, il me décrivait déjà les grandes lignes de « Barracuda » : trois adolescents sur une île, un bateau qui disparaît à la chasse au trésor et qui réapparaît quelques années plus tard…



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Qu’est-ce qui vous attire dans les histoires de pirates ?
J. La question peut même se résumer à ce qui m’attire dans les histoires : ce sont les personnages, leurs vécus, leurs évolutions, leurs parcours, leurs forces et surtout leurs faiblesses. La piraterie, le genre en lui-même, permet surtout de s’amuser graphiquement : les sales gueules, les décors typiques, les tavernes…

Il y a beaucoup de codes à respecter quand on dessine une aventure de pirates ? Quelles sont vos références aussi bien en BD qu’en littérature ou au cinéma ?
J.Il n’y a pas vraiment de codes à respecter, puisque justement, le point de vue de notre histoire sort des codes habituels du genre, à savoir que nous évoluons plus sur terre que sur mer. L’introduction du premier « Barracuda » (l’abordage en pleine mer) était une scène classique, qui permet au lecteur de partir sur un terrain connu, pour ensuite le mener plus facilement là où nous, auteurs, voulons arriver. Mes références sont vastes et je fonctionne beaucoup au coup de cœur. Je ne me limite pas à un genre de film en particulier, et m’ouvre à tout ce qui est susceptible d’enrichir mon imaginaire : des films, des séries ou de la musique.

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Maintenant que vous avez créé l’univers « Barracuda » avec le premier tome, est-ce plus facile d’enchainer sur les albums suivants ?
J. Grâce à son scénario, Jean me pousse toujours à aller plus loin, à être plus efficace, à cerner l’essentiel dans le dessin. Après, il y a toujours les défis plus techniques, comme dessiner un bateau ou une cathédrale… C’est long à réaliser, mais assez gratifiant une fois terminé. Ce qui compte, au départ, c’est d’avoir son propre point de vue.

Le personnage androgyne d’Emilio a été difficile à créer ?
J. Ça a très vite été assez clair pour moi. Je me suis souvenu de tous ces personnages androgynes que l’on peut voir dans les mangas, et j’ai tenté d’adapter ce type à mon style de dessin. Si Emilio a tout pour ressembler à une femme, son côté masculin peut parfois aussi se faire ressentir. En le regardant, le lecteur qui n’a jamais lu « Barracuda » devra toujours se poser la question de son identité sexuelle. Jean et moi, nous nous amusons à jouer avec les deux faces, Emilio et Émilia. Homme ou femme au choix selon la situation.

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Quand on débute une série qui porte le nom d’un bateau, est-ce que l’on s’attend à ne dessiner qu’un seul bateau dans le deuxième tome ? Est-ce que cela vous a surpris ?
J.« Barracuda » est une longue histoire, un long film. Certes, on ne voit pas le bateau dans le second chapitre, le second acte, mais il reviendra. Et puis, le mystère quant à sa disparition doit planer tout au long de la lecture, pour des révélations plus percutantes par la suite. « Barracuda », le titre, est plus le symbole de ce qui a réuni nos trois personnages.

Au niveau des couleurs, on pense parfois au Scorpion de Marini. Est-ce une référence ? Est-ce aussi un plaisir de devoir retranscrire les chaudes couleurs des Caraïbes ?
J. Le dessin et les couleurs servent l’histoire. La nôtre se déroulant dans les Caraïbes, nous avons opté pour la chaleur des couleurs. La référence à Marini fait plaisir, puisque c’est un auteur que j’apprécie beaucoup, mais involontaire, étant donné que c’est une ambiance de teintes choisie pour ce type d’histoire, avec Jean. La familiarité vient sans doute du fait que ce sont des techniques traditionnelles, aux teintes chaudes, où la colorisation prend une place importante.

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Sur votre blog, on découvre que le service marketing de Dargaud a refusé votre première proposition de couverture pour ce tome 2. Comment se passent les négociations, les discussions dans ce cas-là ? La couverture est un élément majeur dans le succès d’un album ?

J. Dargaud, l’éditeur, n’a pas dit qu’on ne pouvait pas l’utiliser, mais le service marketing n’aurait pas accepté de diffuser l’album dans certaines grandes surfaces. Dès lors, le choix nous revient à nous, auteurs. Comme j’avais déjà une autre couverture pour le tirage Dargaud noir et blanc, nous les avons simplement échangées. Au final, ce n’est pas plus mal, car chaque couverture de « Barracuda » aura sa propre identité.

Sur ce même blog, vous avez organisé un concours avec deux rôles de figuration pour vos lecteurs dans ce tome 2. Quel était le but ? Est-ce aussi parce qu’il est compliqué d’inventer des gueules aux personnages secondaires ?
J. Il serait dommage de ne pas se servir du net pour promouvoir son album. Le blog que je tiens est régulièrement suivi par quelques habitués et permet aussi de faire découvrir mon univers. Les visites étant de plus en plus nombreuses, je voulais faire quelque chose… Dans un désir de diversifier mes personnages d’arrière-plan, j’ai tout naturellement proposé aux gens de participer à ce casting. Vu la rareté de la chose, le concours a plutôt bien plu et bien marché. Je réitèrerais de temps en temps le concours, mais probablement pas plus d’une fois par album/par an.

Est-ce aujourd’hui important d’ajouter de l’interactivité entre l’auteur et le lecteur ou d’être présent sur Facebook avec une page Barracuda ? Est-ce que ces discussions avec les lecteurs vous permettent d’apprendre des choses, de progresser ?
J. La communication sur le net est importante. C’est même essentiel de nos jours. On ne peut pas ne plus passer par là, il faut s’en servir. Mais la communication Facebook et blog est, à mon point de vue, à sens unique. Je communique des infos, en avant-première, et les gens peuvent diffuser ensuite l’info aisément. En ce qui concerne mon apprentissage, je reste de la vieille école puisque j’ai besoin d’un contact face à face. Je montre mes planches à Jean, à des amis comme Delaby ou Xavier, ou à mon éditeur. Et leurs avis me permettent d’apprendre, d’évoluer.

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D’abord prévue en trois tomes, cette série va finalement se poursuivre au-delà. Cela veut aussi dire que vous allez devoir continuer à dessiner des pirates pendant plusieurs années. Ce n’est pas frustrant quand on débute sa carrière de dessinateur ?
J. Ce n’est pas un devoir, c’est une passion qui se nourrit. Le temps passe si vite que je ne le vois plus passer. Barracuda sera plus long, mais d’un ou deux albums en plus que les trois initialement prévus, ce qui n’en fait pas une très longue série. On s’accroche aux personnages, et ça reste un plaisir de passer un an ou deux de plus à leurs côtés. Aucune frustration à ce niveau-là donc. Après « Barracuda », par contre, on passera à autre chose, un autre univers. Rien de précis encore, mais on en discute…

Propos recueillis par Emmanuel LAFROGNE

« Barracuda », tome 2 « Cicatrices » par Jérémy et Jean Dufaux. Dargaud. 13,95 euros

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