Emmanuel Reuzé: «Les crétins ont gagné en visibilité»

La connerie serait-elle inépuisable ? Le quatrième tome de « Faut pas prendre les cons pour des gens » est en tout cas toujours aussi drôle et parfaitement clairvoyant sur les travers de notre époque. L’occasion de revenir sur le succès phénoménal de cette indispensable série avec son créateur Emmanuel Reuzé.

« Faut pas prendre les cons pour des gens » est un énorme succès avec 600.000 exemplaires vendus. Est-ce que cela ajoute une certaine pression?
Emmanuel Reuzé.
Il y a surtout eu de la pression pendant l’écriture du deuxième tome. Je venais de terminer une longue tournée de dédicaces lorsque les ventes du tome 1 ont explosé à Noël. J’avais à peine eu le temps de commencer le second et je devais le terminer en six mois alors qu’il me faut un an en moyenne. En même temps, je voulais essayer de ne pas décevoir. Je me suis donc mis au travail d’arrache-pied mais en mars arrivent la Covid et les trois mois du premier confinement, qui ajoutent un peu de pression. Peu après, un éditeur qui a cru que j’étais devenu bankable, a tenté de rééditer une de mes anciennes BD sans mon accord. Pour l’en empêcher, j’ai dû me faire aider par le syndicat des auteurs de bande dessinée (que je remercie au passage). Ensuite, j’ai fait une pause et j’ai pris mon temps pour réaliser le tome 4. J’ai retrouvé un équilibre et le plaisir de bosser. Avec Vincent et Jorge, les co-scénaristes, on se marre bien.

Quand on lit vos gags sur les mariages des prêtres ou l’association des pédophiles de France, on a le sentiment que vous ne vous fixez aucune limite…
E.R.
On a tous des limites. Mais, je ne me soucie pas d’être politiquement correct ou incorrect, tant que je reste honnête avec ce que je pense. « Faut pas prendre les cons pour des gens », c’est de la satire. Ce n’est pas l’humour qui est violent, ce sont surtout les sujets : quand on parle de la pédophilie, il est difficile d’être totalement lisse. Mais, je ne cherche pas absolument à choquer ou à déranger. Je fais de l’humour, mon but est avant tout d’être drôle.

Déjà le tome 4 ! Est-ce difficile de se renouveler et de continuer à surprendre le lecteur ? Les co-scénaristes Jorge Bernstein et Vincent Haudiquet sont d’une grande aide pour cela?
E.R. C’est toujours difficile d’écrire une bonne histoire, que ce soit pour le tome 1 ou 4. Il faut souvent du temps pour la laisser venir. On imagine souvent une vingtaine de chute avant de trouver la bonne. Avec Vincent et Jorge, on se voit deux heures par semaine pour des brainstorming effrénés. Quand on est seul, ça prend beaucoup plus de temps, mais à trois les idées fusent, on se renvoie la balle et le travail est ainsi plus léger.

Votre livre pointe du doigt les travers de notre société. Avez-vous l’impression qu’ils sont de plus en plus nombreux et que l’on est de plus en plus con?
E.R.
Les réseaux sociaux et les médias font remonter les abrutis à la surface mais je crois qu’ils ont toujours été là. Aujourd’hui, les crétins ont gagné en visibilité, c’est peut-être pour ça qu’on croit qu’ils sont plus nombreux. Il faut aussi se méfier du phénomène qui fait qu’en vieillissant, on trouve que c’était mieux avant. C’est difficile de juger parce qu’on change en même temps que l’époque, on n’a donc aucun repère. Il faudrait inventer l’équivalent du mètre étalon pour mesurer la connerie.

Certains gags peuvent alerter le lecteur sur sa propre connerie. En plus de le faire rire, vous ambitionnez aussi de le rendre meilleur?
E.R.
Ça peut être un des buts de la satire. Mais ce n’est pas ma BD qui va changer le monde. Déjà, si j’arrive à faire rire les gens et à leur rendre la vie plus légère le temps d’une lecture, c’est gagné !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)


« Faut pas prendre les cons pour des gens, tome 4 » par Emmanuel Reuzé, Jorge Bernstein et Vincent Haudiquet. Fluide Glacial. 13,90 euros.



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