Devig: «Se moquer des enquêteurs au jugement infaillible»

Dans ce réjouissant deuxième tome des « Mystérieuses histoires du major Burns », nos deux héros se trouvent confrontés à une dizaine d’histoires légendaires de l’époque victorienne. Les fantômes de Blake, Mortimer, Sherlock et Watson planent forcément au-dessus de cette hilarante parodie à l’humour noir, parfois absurde et aux dialogues ciselés.

Le major Burns et le docteur Wayne parodient deux célèbres duos d’enquêteurs : Blake et Mortimer et Sherlock Holmes et le docteur Watson. Pourquoi cette double référence?
Devig.
Il faut savoir que lors de leur création, mon duo d’enquêteurs n’était pas le fruit d’une intense réflexion. Leurs premiers pas se firent sous forme de « strip » sur internet et ils étaient avant tout destinés à amuser mes amis. Il est vrai cependant que leurs aventures étaient, pour moi, l’occasion de me moquer gentiment de tous ces enquêteurs au jugement infaillible dont les péripéties se terminent invariablement par le triomphe de la vérité et de la justice.
Pour être juste, la référence à Holmes est, dans mon cas, beaucoup plus cinématographique que littéraire. J’ai, en effet, été très influencé par les films flamboyants de la Hammer. Le major Burns est ainsi très inspiré du Peter Cushing de ce cinéma-là. Quant à Blake & Mortimer, cela m’amusait de reprendre cette forme de récit classique tout en la pervertissant quelque peu même si, je ne peux le cacher, Jacobs reste une référence pour moi et un de mes plus grand choc de lecteur.

Graphiquement, « Les mystérieuses histoires du major Burns » adoptent la ligne claire chère à Edgar P. Jacobs. C’est une référence pour vous?
D. Je ne suis pas sûr de pouvoir utiliser le terme de « référence ». Je dessine de cette façon sans vraiment me poser de questions quant à une utilisation légitime ou conforme de la ligne claire. Cette forme graphique est liée à l’influence qu’eurent sur moi mes premières lectures de bandes dessinées et, surtout, de ma préoccupation à réaliser un dessin immédiatement lisible et fluide.

Comme dans la série « Le petit théâtre des opérations » également chez Fluide Glacial, vos récits s’inspirent d’histoires réelles (ou de légendes). C’est une formule qui fonctionne bien?
D.
C’est amusant car bon nombre de mes histoires débutent sans que je sache à quelles références elles vont se rattacher. Il arrive d’ailleurs que je n’en trouve pas… Je m’efforce, dans un premier temps, de construire une trame générale dans un story-board et ce n’est qu’ensuite que je vois si ce projet pourrait se raccorder à des faits réels ou des légendes existantes. Très souvent, et c’est là que c’est miraculeux, mon histoire s’imbrique parfaitement à des faits historiques dont j’ignorais l’existence au commencement de mon récit. La recherche de documentation est un de mes grands plaisirs donc, en ce sens, c’est une formule qui me convient très bien.

Comment trouvez-vous ces faits divers ou ces légendes?
D.
Comme je le disais précédemment, ces découvertes sont le fruit du hasard. Elles sont dictées par l’orientation de mon scénario. Par exemple, concernant l’histoire « Blacks dogs », j’avais l’idée de réaliser un récit qui serait une forme d’hommage au « Chien des Baskerville ». En en me documentant, je tombe sur la légende des chiens noirs et me rends compte que Conan Doyle a largement puisé dans ce mythe lors de la construction de son livre. Je peux alors instiller une véritable base à mon récit qui repose désormais sur des fondations historiques.


Etiez-vous féru de la période victorienne?
D.
J’aime beaucoup la période victorienne, autant la littérature gothique de ces années-là que les nombreuses adaptations cinématographiques. Cette société rigide, fière de son empire et en pleine expansion industrielle me fascine. Elle est en quelque sorte le commencement des problèmes du monde moderne.


Les répliques du docteur Wayne sont vraiment très drôles. Cet humour so british demande beaucoup de travail sur les textes?
D.
Les répliques du docteur Wayne sont conçues lors de la réalisation de mon story-board. Elles me viennent naturellement lorsque je mets mes personnages en situation sur mon carnet de croquis. Je n’écris pas mes dialogues en amont. J’ai besoin de voir vivre mes personnages sur la page pour imaginer leurs répliques.


Il existe aussi beaucoup d’histoires macabres en France. On se réjouit déjà à imaginer nos deux limiers devoir venir enquêter aux pays des mangeurs de Grenouille. Est-ce possible?
D.
Le voyage en France reste dans un coin de ma tête mais il faudrait composer avec l’aversion de mes personnages pour notre pays. Je pense qu’à ce moment-là, je m’orienterais davantage vers un récit complet. La Grande-Bretagne est toujours pour moi une source inépuisable d’inspiration même si j’ai pris le parti, dans les nouvelles aventures de Burns, d’envoyer nos protagonistes autour du monde. Mes deux héros vont ainsi s’éloigner des brumes londoniennes afin de participer à une grande aventure scientifique, aux nombreux rebondissements, dans la ligne directe de celle de Darwin.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Les Mystérieuses Histoires du Major Burns », tome 2 par Devig. Fluide Glacial. 15,90 euros.

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