Chanouga : « L’histoire que je recherchais… »

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C’est en feuilletant une vieille revue maritime que Chanouga a découvert l’incroyable histoire de ce Vendéen, qui vivra pendant dix-sept ans chez des cannibales australiens. Un premier tome très prometteur bien que frustrant, puisque se terminant par le naufrage de Narcisse.

Comment avez-vous découvert l’histoire de Narcisse ?

Chanouga. C’était en 2007, en chinant, j’ai ouvert par hasard un numéro des années 80 de la revue Histoire de la mer. J’ai été attiré par la photographie d’un homme torse nu, au torse scarifié, au nez et à l’oreille percée, c’était Narcisse Pelletier. narcisse1.jpgÀ la lecture de l’article qui lui était consacré, j’ai eu le curieux sentiment que c’était peut-être l’histoire que je recherchais depuis toujours… qui plus est, une histoire vraie ! La concrétisation de l’idée a mis du temps à faire son chemin mais dès le départ, je voyais cette étonnante aventure en image.



Il était déjà question de naufrage dans votre premier album « De Profundis ». C’est un hasard ?

C. Oui, c’est un peu lié à mon histoire personnelle: je suis un passionné d’histoire maritime, j’ai pratiqué très longtemps la plongée sous-marine avec une prédilection pour les épaves ! Le naufrage est souvent le témoin d’une histoire tragique et compliquée, c’est l’ingrédient essentiel du roman maritime et justement, je suis un amateur inconditionnel de Conrad, Stevenson, Melville…

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Dessiner de nombreuses scènes maritimes doit donc vous réjouir ?

C. Dessiner des coques de bateaux, des voiles, la mer, pour moi c’est un peu comme dessiner des corps féminins, c’est très sensuel, on est dans le mouvement, le mouvant, les éléments… Mes références, je les ai puisées avant tout dans la bibliothèque de mon père qui possède la collection complète du Chasse-Marée, à travers les lignes de Joseph Conrad et lors de mes voyages en Bretagne, un pays qui a compris à quel point il est important de préserver son patrimoine maritime. Mon expérience de la mer a certainement apporté une certaine « vérité » à mon approche graphique.



En postface, vous parlez d’un livre écrit à partir d’un témoignage édulcoré. Pourquoi édulcoré ?

C. Lors de mes recherches pour en connaître un peu plus sur le vrai Narcisse, j’ai pu acheter un rare petit livre édité peu de temps après son retour à la « civilisation »dans lequel est rapporté son témoignage sur les dix-sept années passées chez les « sauvages ». Curieusement, au-delà d’une description assez précise des us et coutumes de ses « hôtes » les détails sur sa vie personnelle sont quasiment absents. Honte ou pudeur ? En tout cas, j’ai perçu cela comme une aubaine : le champ libre à mon imaginaire…



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Pour raconter la vie de Narcisse Pelletier, il a été facile de trouver de la documentation ?

C. C’est une phase passionnante mais rapidement frustrante, car il existe en fait peu de choses, le document le plus important étant son témoignage. L’autre pièce importante du dossier est un article de la revue Le tour du monde de 1861 qui relate la version de son capitaine quant aux conditions du naufrage. Une vision très différente de celle de Narcisse. Puis il y a les articles de presse. La vérité se balade quelque part entre les lignes de ces documents parfois contradictoires. 



En quoi votre interprétation diffère des versions déjà connues ?

C. Il existe plusieurs livres publiés dans les années 80/90, qui relatent de manière plus ou moins romancée l’histoire de Narcisse et un dernier sorti en 2012 très éloigné de la vérité historique. Une approche en bande dessinée permet d’amener une réalité plus concrète. En ajoutant ma part d’imaginaire j’ai essayé de ne pas trahir le vrai Narcisse. J’ai tenté de comprendre la relation spéciale qu’il a eu avec des hommes, des femmes dont on niera l’humanité à son époque (et longtemps après), avec lesquels il a grandi, jusqu’à devenir un homme… probablement heureux ! C’est une histoire que j’ai vraiment prise à cœur, dans laquelle j’ai vu une dimension contemporaine.

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Avant de raconter la vie de ce marin qui va vivre dix-sept ans chez les cannibales, vous consacrez un tome au chemin qui l’a mené jusqu’en Australie. C’était important ? Vous n’avez pas peur de frustrer le lecteur pressé de découvrir son expérience incroyable ?

C. Pour comprendre le personnage il m’a paru important de le replacer dans son époque, dans son environnement social et géographique. Afin d’aborder la partie la plus extraordinaire de son étrange destinée, il me semblait essentiel de se glisser dans la peau de Narcisse. Ce n’est pas un destin banal. Passer à côté des raisons qui l’ont poussé à partir, à persévérer dans la voie difficile qu’il avait choisie en pleine conscience, ce serait comme construire une maison sans fondation ! J’espère que mes lecteurs frustrés auront un peu de patience car le tome 1 prépare le terrain du tome 2 et annonce un développement mouvementé et fort singulier !



Il est impossible de ne pas s’attarder sur cette case de la page 10 où l’on découvre Narcisse tatoué et scarifié. Ce dessin devait intriguer ?

C. Le vrai Narcisse n’avait pas de tatouage, simplement des scarifications, mais je voulais en faire un personnage emblématique, le rendre encore plus étrange, plus spectaculaire pour le lecteur. Mais aussi faire en sorte que son visage soit le reflet évident, aux yeux des gens de son époque, de son « repoussant » passé. Comme les aborigènes qu’il a côtoyés ne se tatouaient pas, dans la logique de mon récit, il passera par la Polynésie pour cela. 



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Ce qui est aussi incroyable que le destin de ce Vendéen, c’est de n’avoir jamais entendu parler de cette histoire jusqu’à votre album ?

C. C’est exactement la réflexion que je me suis faite lorsque j’ai découvert l’existence de Narcisse. Très jeune, la lecture du Robinson Crusoé de Daniel Defoe m’avait totalement fasciné ; à la réflexion, que sont les quatre années d’isolement du véritable Robinson, Alexander Selkirk, face aux dix-sept années de Narcisse ?
Certainement, le fait qu’il ait abandonné la civilisation, la religion, n’a pas, du point de vue de son époque, joué en sa faveur. Mais aujourd’hui, son expérience prend une tout autre envergure en posant la question aigüe de l’altérité.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Narcisse », tome 1 par Chanouga. Editions Paquet. 14,50 euros.

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