Roger Martin : « Nous voulions parler du premier président noir »

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Dans ce septième tome de la géniale « Amerikkka », Roger Martin délaisse provisoirement le Ku Klux Klan et propose un thriller politique inspiré par les nombreuses menaces de mort reçues par Barack Obama.

Barack Obama est le président des États-Unis qui a reçu le plus de menaces de mort. A-t-il vraiment reçu, en plus des classiques lettres piégées, des chocolats explosifs et un perroquet atteint d’une maladie infectieuse ?
Roger Martin. Les chocolats explosifs sont avérés. Le perroquet, je n’ai pas de preuves formelles. C’est un bruit qui court, mais quand on sait que c’est un des moyens qu’avait employé la CIA pour tenter d’assassiner Fidel Castro, on se dit que ça n’aurait rien d’impossible ! Il n’y a guère de transparence à la Maison Blanche, en tout cas ni plus ni moins que dans les autres pays, qui préfèrent en général tenir secrètes ce type de menaces pour des raisons politiques mais aussi des raisons d’efficacité dans la traque des conspirateurs.

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Et cette tentative d’empoisonnement du réseau d’eau de la Maison Blanche ?
R.M. Je l’ai inventée de toutes pièces. Cependant, à la fin des années 80, des groupes néo-nazis avaient stocké des tonneaux de cyanure qui devaient être déversés dans le réseau d’eau de New York et de cinq grandes villes américaines pour provoquer un état de panique généralisé et autoriser la prise du pouvoir par des groupes armés.

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Vous qui, dans les tomes précédents, décrivez un Klan toujours omniprésent aux États-Unis, avez-vous été surpris par l’élection de Barack Obama ?
R.M.
Pas du tout. Les deux phénomènes ne sont pas contradictoires. L’espoir incarné par Obama avait vu des millions d’Américains pauvres, noirs mais blancs aussi, aller pour la première fois aux urnes parce qu’ils pensaient que leur voix allait être entendue. Leur déception, plus que le programme (!) républicain, est responsable de la défaite des démocrates aux dernières élections. Et, parallèlement, toute avancée dans le sort des minorités est perçue comme une menace par la droite dure et l’extrême droite qui se renforce au détriment de la droite modérée.

Est-ce que ce premier président noir a pris des mesures pour lutter contre le KKK ?
R.M.
Pas plus que ses prédécesseurs. En réalité, la branche ultra violente du Klan et des groupes néo-nazis est plutôt bien contrôlée par les autorités. En revanche, la branche plus politique joue le jeu de l’aile droite du Parti républicain et a joué un grand rôle dans l’émergence du mouvement dit « Tea Party », plus dangereux sur le plan électoral.

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Ce nouveau tome évoque une tentative d’assassinat du président des États-Unis et on pense parfois à « 24 heures chrono ». Est-ce que cette série télé vous a inspiré ?
R.M. Cette série télé ne m’a pas inspiré pour la simple et bonne raison que je n’en ai pas vu un seul épisode. Le soir, je travaille à mes bouquins (romans noirs, enquêtes et BD) et je ne regarde pas la télé ! C’est aussi une façon de ne pas me laisser influencer. Je préfère m’en tenir aux informations que je continue à collecter par le réseau d’amis américains, essentiellement des militants progressistes, que je me suis constitué il y a près de trente ans.

Traiter une actualité aussi brûlante demande beaucoup de précautions ?
R.M.
La règle est de ne pas affirmer ce que l’on n’est pas en mesure de prouver. Bien sûr, c’est moins grave dans une BD ou un roman, mais mes enquêtes m’ont appris à refuser le recours au sensationnel dès lors qu’il relevait du pur fantasme. Il y a assez de complots authentiques sans en rajouter !

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Cet album est différent des précédents, davantage thriller que brûlot politique contre le racisme, et ressemble à une sorte de transition entre deux cycles. Quelle était votre idée de départ ?
R.M.
Nous voulions qu’un des épisodes intègre cette donnée nouvelle et extraordinaire d’un président noir. Ce choix a entraîné l’accentuation du côté thriller. Mais « Les Milices du Montana » vont renouer avec l’esprit des premiers épisodes. D’ailleurs, c’est ce qui est clairement annoncé à la fin de ce tome 7.

Il est important de provoquer ce genre de rupture dans une série ?
R.M.
Il est parfois intéressant de mettre les pieds dans le plat, de jouer au chien dans le jeu de quilles. « Objectif Obama » se prêtait à cela. Mais, pour être honnête, je ne l’avais pas prémédité. Cela s’est imposé à moi pendant l’écriture du scénario.

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Que nous réservent les prochains tomes ?
R.M. Le prochain déplacera Steve et Angéla dans le Montana et il y sera question des Milices, auxquelles appartiennent souvent des membres du Klan. Je n’ai pas encore décidé du suivant, même si je n’exclus pas qu’il se déroule dans le milieu des Bikers et des gangs. Puis, en guise de conclusion, le dixième et dernier tome remontera le temps puisque je raconterai la véritable naissance du KKK à l’issue de la Guerre de Sécession.

Propos recueillis par Emmanuel LAFROGNE.

« Amerikkka » (tome 7) par Roger Martin et Nicolas Otero. Emmanuel Proust Editions. 13 euros.

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