Rémi Guérin: « Sur la piste de l’agence Pinkerton »

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Pour raconter l’histoire méconnue de cette célèbre agence de détectives, Rémi Guérin a fouillé dans les archives du Congrès, du FBI et de la CIA. De quoi nourrir une série qu’il rêve de prolonger au-delà des trois tomes prévus. Le premier donne en tout cas très envie d’en apprendre davantage.

Dans la préface, vous expliquez que cette série a germé pendant sept ans. Qu’est-ce qui a freiné ?
Rémi Guérin. Ce délai est dû à la particularité du personnage d’Allan Pinkerton. Il est fascinant et l’histoire de sa famille et de son empire passionnante, mais il n’existe aucun livre sur lui, ni aucune biographie. Et remonter sur la piste de l’Agence demande beaucoup de temps et d’énergie pour réunir les informations nécessaires. Il a fallu fouiller dans les archives de la bibliothèque du Congrès, faire des demandes pour accéder aux archives du FBI ou celles de la CIA, internet est un outil formidable qui abolit toutes les frontières ! Alors, j’ai bossé et j’ai aussi mis beaucoup de temps à trouver le bon dessinateur.

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Allan Pinkerton est présenté comme le père de la police moderne ?
R.G. Je crois que c’est le cas. Dans son livre autobiographique « Thirty Years a Detective » publié en 1884, il énonce déjà les préceptes qui sont ceux de la police d’aujourd’hui. Quel visionnaire génial d’écrire à l’époque que tout est important sur une scène de crime, qu’il existe des modus operandi qui peuvent permettre de traquer les criminels, qu’il faut notifier et relever tous les indices en prenant soin de ne pas souiller les lieux ! À notre époque cela parait logique, évident et le contraire est inconcevable… En 1884, je vous prie de croire que non. Nous ne parlons pas encore d’empreintes digitales ni d’ADN et pourtant les règles sont posées, par un homme qui a consacré sa vie à combattre le crime (même si les moyens utilisés étaient répréhensibles) et qui a obtenu des résultats incomparables dans sa quête de justice.

Cet album est uniquement centré sur la traque. Vous n’avez pas eu envie de le prolonger sur plusieurs tomes pour aussi raconter l’histoire des frères James ?
R.G. Cela n’aurait certainement pas manqué d’intérêt, mais ce qui m’intéressait c’était avant tout l’Agence et pas les James. Il existe aujourd’hui pléthore de films ou livres sur eux et raconter une fois de plus cette histoire ne m’intéressait pas plus que ça, des auteurs bien plus talentueux que moi l’avaient déjà fait. Celle des Pinkerton en revanche, personne ne l’avait commis auparavant !

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On n’a également assez peu d’informations sur l’agence Pinkerton. Ce n’est pas le but de la série ou c’est prévu dans les prochains tomes ?
R.G. Et bien cette question est excellente ! Puisqu’elle préfigure justement de ce qui va advenir dans les prochains tomes. L’avantage d’avoir une série sans tomaison, c’est de pouvoir ne pas respecter la chronologie. Nous allons donc faire un saut de quelques années en arrière dans le prochain volume, à quelques mois de la guerre de Sécession et découvrir comment l’Agence s’est offert quelques-uns de ces privilèges si pratiques… Quant à la création de l’Agence, il faudra attendre encore plus tard pour le savoir, mais l’histoire vaut le détour et est à la hauteur du personnage d’Allan, violente et surprenante.



Dans ses relations avec les autorités locales, l’agence Pinkerton rappelle le FBI, non ?
R.G.
Complètement ! On découvrira même plus tard que l’Agence est réellement l’ancêtre du FBI. Mais les rapports que Pinkerton et ses hommes entretiennent avec le pouvoir en place, cette possibilité d’outrepasser les règles et d’abolir les frontières des états comme si elles n’existaient pas, sont bien des particularités communes entre ces deux agences. Le hasard n’existe pas, faut-il croire…



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William Pinkerton était vraiment capable d’abattre l’un de ses hommes pour déclencher une fusillade ?
R.G.
Je crois que les Pinkerton, père et fils, étaient capables de faire tout ce qui devaient l’être afin que justice soit rendue et au nom de la loi. Leurs limites étaient floues, leur liberté d’action immense et ils partageaient ce sens commun du sacrifice si cela les amenait à rendre la justice. Allan Pinkerton pensait qu’il était investi d’un pouvoir et que s’il échouait, le seul qui pourrait alors réussir là où il avait trébuché était Dieu lui même. Tuer un homme n’a jamais été qu’un moyen d’arriver à ses fins, au nom des États-Unis d’Amérique, de la Loi, de la Justice, de Dieu, de tout un tas de valeurs et de causes qui valent de commettre les pires atrocités quand on se penche un peu sur l’Histoire. S’embarrasser de détails tels que les dommages collatéraux dans une affaire ou une enquête n’a jamais été un problème pour l’Agence et William ne faisait pas exception.

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Ce premier tome défend la thèse que l’assassin de Jesse James a été manipulé par l’agence Pinkerton. C’est quelque chose de crédible ou inventé de toutes pièces ? Quel rapport entre fiction et réalité sur cette série ?
R.G. 
L’Histoire, celle avec un grand «H», ne retient pas cette hypothèse. Moi oui. Cette vision des évènements est crédible et s’appuie sur nombres de faits troublants. C’est la seule liberté que j’ai prise dans ce récit, donner mon point de vue. Le reste est assez proche de la réalité, mais il n’existe aucun film sur l’époque, et comme l’a très justement dit Robert Brasillach: «L’histoire est écrite par les vainqueurs». Dès lors, comment savoir si les faits sont authentiques ? Disons juste qu’ils correspondent à une très proche réalité.

Chaque album va examiner le dossier d’un hors-la-loi ? Comment ont-ils été choisis ? Vous avez privilégié leur histoire ou leur réputation ?
R.G. Contrairement aux apparences, chaque album ne traitera pas du dossier d’un hors la loi, mais d’un dossier de l’Agence. Et tous ne concernent pas forcément un malfrat célèbre. Heureusement d’ailleurs, j’aurais trop peur de sombrer dans le répétitif. Le second tome par exemple va s’attacher à montrer comment l’Agence a obtenu autant de pouvoir et découvrir les liens qui la relient au plus haut sommet de l’État. «L’affaire Lincoln» vous fera découvrir l’affaire du complot de Baltimore, tentative d’assassinat sur le jeune président Abraham Lincoln en 1861, le tout d’un point de vue original, celui d’Allan Pinkerton en personne.

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Il y aussi une histoire plus politique en trame de fond. Cette construction rappelle beaucoup de séries télé. Cela a influencé votre écriture ?
R.G.
Oui, je suis addict des séries télé et je pense que ça se ressent dans mon écriture. La construction d’une histoire au format court est complexe, encore plus quand on ne peut sous aucun prétexte dépasser les 46 planches classiques. L’une des complexités de vouloir une série qui peut se lire dans n’importe quel ordre, c’est précisément de ne pas se faire suivre les albums. Dès lors, quelle meilleure source d’inspiration que les épisodes de série télé, leur construction est parfaite pour ce format.

Est-ce que des œuvres de western en BD ou sur grand écran vous ont également inspiré ?
R.G. 
Très peu. Je n’aime pas vraiment le western en tant que genre. Il existe bien entendu quelques films auxquels je suis plus sensible, tels que « True Grit », « 3H10 pour Yuma » ou en série télé l’excellent « Deadwood » mais guère plus… En BD, la seule série western qui me procure des émotions c’est « Bouncer », quelle claque ! Mais, j’avoue vouloir faire du western en essayant dans la mesure du possible de casser les codes. Ce n’est pas simple si l’on veut coller à la réalité et éviter les anachronismes, reste le rythme et la mise en scène.

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Combien de tomes sont prévus ?
R.G. 
À ce jour, trois tomes sont prévus. Si la série rencontre son public, l’Agence aura encore beaucoup de dossiers à dévoiler, et pas forcément dans le style western d’ailleurs. Après tout, elle existe encore aujourd’hui et a survécu à l’époque de la prohibition !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Pinkerton », tome 1 « Dossier Jesse James – 1875 » par Rémi Guérin et Sébastien Damour. Glénat. 13,90 euros.

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