Jorge Bernstein: « Un bon contrepied au cul de la valeur travail »

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Si les BD sur le monde cruel du travail sont nombreuses, rares sont celles qui déclenchent des rires aussi francs que cette « Bureautique des sentiments ». Peut-être parce que son scénariste Jorge Bernstein a choisi d’en rire avec beaucoup de cynisme.

Comment est né ce loser de Michel ?
Jorge Bernstein. bureautique.jpgIl est l’enfant biologique de deux hommes, Julien Solé et moi-même, ce qui est une grande première en matière de génétique de l’évolution. Cet incroyable phénomène qu’étudiera, à n’en pas douter, l’ensemble de la communauté scientifique ne doit pas faire oublier que Michel s’inspire aussi de la réalité de la vie en entreprise. Le discours managérial prônant l’épanouissement des salariés est très souvent méchamment contredit par les pratiques. Mais bon, Michel n’est pas qu’une simple victime, il est aussi très couillon.

Est-ce un moyen de dénoncer une société de plus en plus formatée ?
J.B. Disons plutôt de prendre le parti d’en rire avec cynisme. Cette forme d’aseptisation des rapports professionnels donne fortement envie de mettre un bon contrepied au cul de la valeur travail.

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Le dossier de presse évoque Gaston Lagaffe. Est-ce que le héros de Franquin a été une influence ? On peut aussi penser à Victor Lalouz de Diego Aranega…
J.B. Gaston, j’ai beaucoup lu quand j’étais petit. Et puis « Idées noires », plus grand. Mais il ne m’a pas semblé être une influence majeure pour l’écriture de « La bureautique des sentiments ». C’est vrai aussi qu’il y a un côté Victor Lalouz chez Michel, une série qui m’a beaucoup fait rire. Mais s’il fallait chercher des influences, peut-être faudrait-il aller plutôt vers les « messages à caractère informatif »», et y ajouter une B.O. absurde de death metal en fond sonore.

Contrairement à Franquin, vos blagues ne sont pas toujours tout public. C’est un plaisir d’aller parfois au-delà du politiquement correct ?
J.B. D’abord, je n’ai pas le talent de Franquin : pouvoir toucher tous les publics avec différents niveaux de lecture n’est pas facile ! Mais oui, c’est parfois agréable d’aller au-delà du politiquement correct quand ça touche à l’absurde. Parfois aussi plus simplement pour le côté potache. Des limites, je m’en fixe quand même, mais pas en fonction de la bienséance : j’essaie plutôt de les placer à l’angle du second et du troisième degré (juste après le rond-point et l’avenue Poincaré, face au terrain vague).

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De nombreux gags en une seule case reposent beaucoup sur le texte. Quel est alors le rôle du dessin ?
J.B. Pour ma part, je ne dirais pas qu’ils reposent uniquement sur le texte, même s’ils sont d’abord écrits avant d’être illustrés. A mon sens, le trait de Julien donne véritablement corps à l’histoire. Impossible de me passer de lui. Nous avons travaillé en dialoguant beaucoup sur ce projet. Au dernier comptage, nous devons remonter 8,5 kilomètres de discussion sur messagerie Facebook pour revenir aux origines.

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A priori, cet album ferme malheureusement la porte à un second tome avec Michel. Vous avez épuisé toutes vos idées ?
J.B. Pour Michel, la porte n’était pas vraiment fermée, mais la fenêtre du 12e étage était hélas ouverte. On l’a voulu d’emblée comme un « one shot » dense et brutal. Pour autant, j’espère être loin d’avoir épuisé mes idées sur le sujet !

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Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« La bureautique des sentiments » de Jorge Bernstein et Julien Solé. Fluide Glacial. 15 euros.

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