ZOOM SUR LA BD INDIENNE

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Elle affiche des tirages impressionnants et pourtant la bande dessinée indienne est un phénomène récent qui présente une offre encore peu diversifiée, autour principalement de la mythologie et des super héros.

Même si elle affiche des chiffres faramineux (86 millions d’exemplaires pour une seule maison d’édition!), la production BD – en tant que produit de consommation de masse – est relativement récente en Inde puisqu’elle ne date véritablement que de la fin des années 60.

L’art de raconter des histoires en images est pourtant une très ancienne tradition dans ce pays où les images sont essentielles à l’hindouisme: la « vision » (« darsan ») de la divinité – le fait de la voir et d’être vu par elle – est un mode fondamental d’approche du divin. Les images pieuses sont donc omniprésentes dans les lieux publics et privés indiens et on a trouvé trace de nombreuses séquences d’images reproduites sur des morceaux de cuir et de tissus depuis l’Antiquité. Ils s’agit souvent d’évocations d’histoires issues du « Ramayana » et du « Mahabharata », deux grands poèmes épiques de l’hindouisme.

La mythologie indienne, véritable ressort de la BD indienne

Ramayana.jpgAttribué au poète sanskrit Valmiki, le « Ramayana » (« L’histoire de Rama ») raconte en 24.000 strophes, l’histoire du vertueux prince Rama, injustement exilé par son père, Daçaratha, roi d’Ayodhya. Accompagné de sa femme, la belle Sita, et de son loyal frère cadet Lakshmana, il se réfugie dans les forêts sauvages de l’Inde, où il arrive à tous trois de nombreuses aventures, notamment l’enlèvement de Sita par Ravana, roi des démons de Ceylan. Quant au « Mahabharata » (« La grande histoire ») et ses 100.000 distiques (groupe de deux vers) d’au moins 32 syllabes chacun, il narre la guerre entre deux dynasties cousines – les Pandavas et les Kauravas – pour la propriété d’un royaume dans le nord de l’Inde.

Ces histoires et les personnages décrits font partie intégrante de la culture indienne. Et ce sont elles qui, grâce à un homme – Anant Pai -, sont à l’origine du formidable essor de la bande dessinée indienne. Celui que l’on surnomme aujourd’hui « Uncle Pai » fut d’abord ingénieur chimique puis journaliste pour le Times of India. Mais en 1967, alors qu’il suit à la télévision un concours de connaissances entre écoliers, il se rend compte avec surprise que les concurrents savent répondre à une question concernant les divinités grecques mais se révèlent incapables de citer le nom de la mère de Rama.

Il est vrai que les enfants hindous, jusque dans les années 70, lisent des BD importées et pendant la période de la domination britannique, les valeurs culturelles occidentales sont plus présentes dans l’imaginaire infantile que leur propres traditions locales. La popularité des super héros à l’américaine est incontestable.

Krishna.jpgAprès avoir frappé en vain à la porte de la plupart des maisons d’éditions indiennes, Anant Pai finit par séduire G.L. Mirchandani de la India Book House (IBH) installée à Bombay. La IBH lance donc la collection Amar Chitra Katha (« L’histoire immortelle illustrée » en sanskrit) avec un premier titre, « Krishna » illustré par Ram Waeerkar. Les deux premières années, la collection cumule les pertes, puis la machine s’inverse et rapidement les ventes décollent. Pour la première fois même, une BD parvient à toucher aussi bien les enfants que les parents.

Les albums Amar Chitra Katha sont en fait les Marvel Comics de l’Inde à la différence que les héros sont issus de l’histoire religieuse. Héros et action – ingrédient de base pour une bonne BD – ne manquent pas: batailles, intrigues divines, destins croisés, mythes perpétués depuis l’Antiquité, histoires basées sur le Ramayana et le Mahabharata, rois courageux, princes et des princesses de l’Inde ancienne… jusqu’au Mahatma Gandhi et d’autres martyres de l’Indépendance. Bon nombre d’enfants des classes moyennes ont donc désormais accès à l’histoire comme aux traditions religieuses de leur pays même si, du coup, on assiste à une sorte d’édulcoration de l’image des saints de l’Inde, l’image qui en est donnée étant toujours de nature à plaire au plus grand nombre et à ne heurter aucune conviction.

Pour réaliser les ouvrages, qui paraissent d’abord en anglais puis sont traduits dans les principales langues de l’Inde, Anant Pai réalise le storyboard puis fait appel à des auteurs indiens. C. M. Vitankar est l’un des dessinateurs de la collection, travaillant sur les titres suivants « Ganesha » (1975), « Tales of Shiva » (1978), « Arjuna, the Monkey and the Boy » (1979) et « Karttikeya » (1981).

Mahatma_Gandhi_the_Early_da.jpgAujourd’hui âgé de 75 ans, Anant Pai racontait récemment dans une interview à Mid-day.com que ses cinq titres favoris étaient « Krishna », « The Gita », « Subhash Chandra Bose », « Draupadi » et « Meera » mais en 35 ans d’existence, ce sont pas moins de 440 ouvrages qui ont été publiés, pour un tirage total de 86 millions d’exemplaires.

Désireuses de profiter du succès des « Amar Chitra Katha », plusieurs maisons d’édition ont lancé leurs propres collections sur le même thème comme Dreamland Publications et Diamond Comics à New Delhi, ou la Jaico Publishing House à Bombay. D’autres encore visent plus spécifiquement la diaspora indienne en mettant l’accent sur les explications didactiques concernant les personnages, le cadre et le contexte culturel. Ainsi la collection « Chakra », du Cultural Institute for the Vedic Arts, dont le siège est à New York, propose des dossiers complets sur les héros de la mythologie indienne, tout en offrant une histoire plus dynamique graphiquement, dans le style des mangas. « Chakra » est distribuée en Afrique du Sud, au Kenya et en Amérique du Nord.

Des personnages de comic strips très populaires

chacha1.jpgLa bande dessinée indienne dans les années 70 ne se limite évidemment pas à la collection Amar Chitra Katha. Ainsi Pran Kumar Sharma a commencé sa carrière en 1960 comme dessinateur pour le journal Milap, installé à Delhi. Il y publie « Daabu », une petite révolution en soi car à cette époque, les journaux indiens publient uniquement des comic strips américains et européens. En 1970, il créé « Chacha Chaudhary » pour le magazine humoristique Lotpot qui deviendra l’un des personnages de la bande dessinée indienne les plus populaires. Chacha Chaudhary (« Oncle Chaudhary ») est un vieil homme frêle mais intelligent, de la bourgeoisie indienne. billoo.jpgToujours représenté avec un turban rouge sur la tête et un bâton à la main, il ne possède aucun super pouvoir mais rivalise d’ingéniosité pour combattre les bandits. Autour de lui gravitent son épouse Bini à la langue bien pendue, son chien Rocket ainsi que Sabu, un géant venu de Jupiter et doté d’une force incroyable. La bande dessinée a été traduite dans dix langues parlées en Inde, dont l’hindi et l’anglais, et s’est vendue à 10 millions d’exemplaires. Elle a fait également l’objet d’adaptation au cinéma et à la télévision.

Pran Kumar Sharma est également le créateur d’autres personnages de BD comme Shrimatiji (la vie de Sheila et de son mari Kishore entre salon de beauté, shopping et inflation), Raman en 1970 (la vie quotidienne d’un employé), Billoo et sa bande de copains en 1973, Pinki en 1978 (une petite fille de 5 ans turbulente), etc. Autant de strips qui sont régulièrement publiés dans des magazines indiens et, pour certains, compilés en albums.

Les thèmes éducatifs développés pour les enfants

tinkle_digest.jpgDe leur côté, Marvel Comics et Gotham Entertainment Group (principal éditeur de comics en Asie du sud et propriétaire des licences Marvel en Inde) ont annoncé le lancement d’un « Spiderman India » dessiné par Jeevan Kang. Pour la version indienne, Peter Parker prend les traits d’un jeune Indien nommé Pavitr Prabhakar qui tire ses pouvoirs d’un yogi (un sage hindou) et combat le crime dans les rues de Bombay. Mêlant – sans surprise – les coutumes locales, la culture et le mystère de l’Inde moderne, ce Spiderman a comme principal ennemi Rakshasa, un démon issu de la mythologie indienne.

Les caricaturistes très présents dans la presse

tata.jpgDepuis les années 90, le nombre de dessinateurs réalisant des dessins politiques dans les quotidiens a par ailleurs explosé. L’Inde est en effet l’un des rares pays d’Asie où l’on n’hésite pas à faire la satire de leaders politiques et à critiquer la position du pays sur la scène politique mondiale, notamment lors de ses essais de bombes atomiques.

Citons par exemple, Joseph Arul Raj qui publie notamment dans Times of India, Indian Express, India Today, Readers Digest, etc. En 1983, une caricature de J.R.D Tata lui a fait gagné un prix national. Ashok Dongre, lui, dessine et caricature depuis plus de 30 ans, travaille actuellement pour le site IndiaNest.com où il dépeint la vie politique, sociale et économique de l’Inde. Il est aussi le créateur de « Swami », le premier comic strip indien sur l’humour de « bureau » à la Dilbert.

swami013.jpgQuant à Neelabh Banerjee, il est le dessinateur de The Times of India. Avec son complice Jug Suraiya, il a créé le personnage de Dubyaman’s Duniya, caricature en cape rouge et combinaison bleue du président américain George W. Bush. Ce drôle de super héros (qui tient son nom de « Dubya », le surnom de Bush tiré de la pronociation texane du « W » qui le différencie de son père) est également publié dans des journaux étrangers comme le Nepali Times. L’une de ses aventures montre Dubyaman lisant un article de journal annonçant que le Libanais Imad Mughniyeh était derrière les attentats du 11 septembre 2001 plutôt qu’Oussama Ben Laden. Il décide alors de partir à sa recherche grâce à ses super pouvoirs. Après avoir usé de sa vision laser ultra-puissante, de son ouïe ultra fine et de ses muscles pour soulever des montagnes, notre héros finit par conclure que Ben Laden est le coupable. bush.jpg« Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion? » lui demande-t-on. « J’ai utilisé ma « super Dubya prononciation: j’arrive à dire « Oussama » mais je ne peux prononcer le nom de l’autre type ».

Bref, qu’il s’agisse d’un hommage aux classiques indiens ou de caricature moderne, l’Inde n’a pas fini d’apprécier les super héros!!

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