Gwen De Bonneval : « Les genres se sont imbriqués »

Pour faire exister leur uchronie et donner vie à leurs personnages, les auteurs du « Dernier Atlas » ont mélangé polar, thriller, science-fiction et récit intimiste. Gwen De Bonneval, coscénariste avec Fabien Vehlmann, présente cette nouvelle saga ambitieuse.

« Le Dernier Atlas » réunit cinq auteurs pour trois tomes de 200 pages. Cela n’a pas été trop compliqué à mettre ce projet en place ?
Gwen De Bonneval. Le projet a surtout mis beaucoup de temps à trouver sa forme et son équipe « idéale ». Entre l’idée originelle et ce premier tome, dix ans se sont écoulés. Il y a eu plusieurs versions, plusieurs faux départs. Mais ensuite tout s’est mis en place de façon naturelle entre les coauteurs. De façon assez étonnante d’ailleurs !

Comment votre équipe a été réunie ?
G. De B. Fabien Vehlmann s’amuse parfois à faire des collages d’images et de titres de films, au hasard. Un peu à la manière des surréalistes. C’est ainsi que l’image séminale d’un « robot géant dans une décharge » a vu le jour. Après une première tentative de collaboration avec un dessinateur (Juanjo Guarnido), Fabien Vehlmann m’a proposé de travailler avec lui sur le scénario, qui lui semblait un peu lourd à porter seul. Nous envisagions de travailler avec Hervé Tanquerelle.

Entretemps, Fabien, Hervé et moi, avons fait partie de l’équipe qui a fondé et mené la revue numérique Professeur Cyclope… À cette époque nous cherchions un projet fort, qui ferait office de fer de lance du mensuel. Fabien s’est alors repenché sur son début de projet de Robot géant. Le travail étant colossal, et Hervé étant accaparé par sa fonction de rédacteur en chef, nous avons tenté de mettre en place une équipe capable de réaliser à la fois un récit numérique, et une version papier. Le tout à un rythme de 20 pages par mois ! Ce que nous n’avons pas réussi à faire… C’était sans doute trop ambitieux.

Hervé Tanquerelle avait commencé à travailler sur le design des personnages, et que ce qu’il avait sorti nous plaisait beaucoup. À la fin de Professeur Cyclope, Fabien et moi avons eu envie de demander à Hervé s’il se sentait capable de dessiner la série sous une forme papier uniquement cette fois. Il y pensait aussi de son côté. C’était comme une évidence. Mais il nous manquait quelqu’un capable de donner forme aux robots géants et aux architectures de notre uchronie. Nous nous sommes tournés vers un excellent designer de notre connaissance : Fred Blanchard. Celui-ci, emballé par notre projet et par l’idée de travailler en équipe avec nous, s’est pleinement investi dans « Le Dernier Atlas » et a su lui apporter la dimension supplémentaire nécessaire.

D’où vous vient cette envie d’écrire une histoire avec un robot géant ?
G. De B. L’idée première est venue de Fabien et de son fameux collage, de façon assez inconsciente, j’imagine. Mais parmi ses nombreux collages, celui-ci est resté et lui a donné envie d’en faire un projet. Certainement parce que les robots géants le fascinent. Et en effet, notre génération a été particulièrement marquée par l’émergence de ceux-ci dans les dessins animés de notre enfance, à commencer par Goldorak, bien évidemment. Je ne m’y serai sans doute pas frotté tout seul, mais la proposition de « jouer » ensemble à partir de cet imaginaire m’a réjoui.

« Le Dernier Atlas » débute comme un polar puis glisse lentement vers la science-fiction…
G. De B. On peut aussi ajouter le thriller, et parfois même le récit intimiste ! Les frontières entre les genres nous semblent poreuses, c’est le fond de l’histoire qui nous guide. Nous avions l’ambition de réaliser un récit cohérent sur de nombreux plans, afin que le lecteur puisse croire en notre proposition d’uchronie, mais aussi et surtout en nos personnages. Pour mettre tout ça en musique, les genres se sont imbriqués sans que cela nous paraisse problématique.

Le concept de votre uchronie est expliqué dans un texte publié en fin d’album. Pour quelle raison ne pas l’avoir développée davantage dans l’album ?
G. De B. Nous voulions que la lecture ne soit pas appesantie par des explications inutiles. Que le lecteur soit emporté par notre histoire, et découvre des choses étonnantes au fur et à mesure. Il nous a paru plus intéressant de donner les clés à la fin, pour les personnes qui voulaient en savoir davantage.

« Le Dernier Atlas » parle aussi d’écologie, de délocalisation industrielle, de flux migratoires. Est-ce une uchronie qui parle d’abord de notre société actuelle ?
G. De B. Bien sûr que cette uchronie parle de notre société actuelle. Elle partage le même passé que notre société réelle, les deux étant inscrits dans des trajectoires proches… Mais pas tout à fait. Ce décalage nous permet d’en parler avec un peu de distance, de liberté, et de lui donner une autre dimension via l’apport de la science-fiction.

Vous parlez également du passé et de la guerre d’Algérie…
G. De B. Parler de la colonisation et du passé de la France était l’une de nos ambitions. Aborder les thématiques de la domination d’humains sur d’autres humains, ou la prédation de ces derniers sur l’environnement, avec les conséquences que l’on connait aujourd’hui. Par ailleurs, le père de Fabien, qui a fait la guerre d’Algérie, ne lui a jamais réellement parlé de ce qu’il avait vécu. Cela fait partie des obsessions de Fabien, il était important pour lui d’aller visiter ces zones d’ombre. Y aller en équipe et par le biais du genre était sans doute plus facile, et certainement indispensable. De mon côté, mon grand-père ayant été aide de camp de De Gaulle pendant une vingtaine d’années, cela revêtait aussi un sens particulier de parler de l’après-guerre, du regard que la France porte sur elle-même, sur sa reconstruction de la France même si elle se fait ici via des robots géants ! Symbolique de grandeur assez gaullienne d’ailleurs.

Ce premier tome se situe entre le blockbuster et la bande dessinée d’auteur. Avez-vous le sentiment que la frontière entre ces deux genres est de plus en plus poreuse ?
G. De B. Ces frontières m’ont toujours semblé artificielles. Je suis heureux qu’on nous laisse aujourd’hui la possibilité de développer cette série, de cette manière, en bande dessinée (merci Dupuis). Il me semble que les lecteurs sont prêts à ça. Je l’espère en tous cas ! Peut-être même qu’ils le sont depuis longtemps. Sur d’autres médiums, c’est d’ailleurs le cas : regardez depuis une vingtaine d’années le nombre de séries télé au long cours qui ont vu le jour, qui mêlent sujets de fond avec un récit d’action enlevé !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Le Dernier Atlas », tome 1 de Fabien Vehlmann, Gwen de Bonneval, Frédéric Blanchard et Hervé Tanquerelle, Dupuis. 24,95 euros.

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