QUAND LA COMMUNICATION PASSE PAR LES BULLES

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Simple divertissement, la bande dessinée est également un moyen très efficace pour faire passer certains messages. Entreprises, syndicats, collectivités et organismes divers l’ont bien compris.

Comment transmettre une documentation technique sur le tarissement des vaches laitières à des éleveurs de bovins? Comment expliquer l’hypertrophie bénigne de la prostate aux malades? Comment inciter les consommateurs à acheter du papier peint plutôt que de la peinture? Comment faire passer des messages importants aux salariés, sachant que les notes de service finissent très souvent à la poubelle? Par ses capacités expressives, sa concision et l’univers de sympathie qu’elle dégage, la bande dessinée se révèle un outil de communication performant. Une bande dessinée a le pouvoir de faire lire ceux qui ne lisent jamais. Elle est donc idéale pour véhiculer un message clair et compréhensible de tous, quel que soit le niveau culturel ou social du lecteur.

Ce n’est pas un phénomène nouveau. Depuis longtemps, nombreux ont été les Etats à utiliser le dessin comme outil de propagande. Deux exemple parmi tant d’autres: en Corée, la BD de propagande voit le jour dans les années 20-30, visant par exemple à encourager la production de riz destiné à être cédé comme tribut au Japon; en Russie, pendant la guerre civile de 1919-1920, les « okna rosta », des feuilles de papier coloriées à la main, étaient placardées dans les rues pour informer la population des derniers évènements.

Un support de promotion pour les entreprises

Aujourd’hui, même si elle reste relativement marginale, la communication par la bande dessinée est devenu un support de promotion efficace pour les entreprises. A tel point que nombre de sociétés se sont spécialisées sur ce créneau, comme Comicstrips, Corporate Fiction, Narratives ou l’agence Une Bulle en Plus, lancée en 1991 par Xavier Fauche, un ancien scénariste de « Lucky Luke », « Rantanplan » et « Le Marsupilami ».

ugepa.jpgComme ses confrères, Xavier Fauche travaille avec des entreprises qui souhaitent simplement donner un coup de jeune à une marque ou faire passer un message fort aux consommateurs. Il a ainsi récemment réalisé une BD de 28 pages intitulée « Le papier peint… quel effet ça fait ! » distribuée à 170.000 exemplaires. Objectif d’Ugepa, le fabricant: orienter les consommateurs vers le papier peint plutôt que la peinture en présentant les nombreuses qualités du produit et notamment la facilité de pose! Une Bulle en Plus a également réalisé en 2003 deux albums différents pour le revendeur de voitures EAD, installé en Moselle, qui achète des voitures dans toute l’Union européenne avant de les revendre moins chères en France. Le premier album diffusé à 5.000 exemplaires était destiné aux garagistes pour les inciter à devenir prescripteur, le second (50.000 exemplaires) expliquait aux particuliers le principe d’EAD. Bilan positif pour EAD qui a noté un nombre de retours bien plus importants que pour un mailing classique.

michelinpression.jpgC’est certainement aussi le constat de Michelin dont la série réalisée pour faire connaître ses produits auprès du grand public a atteint une diffusion digne d’un best seller. Tout a commencé en 2000 pour le leader français du pneumatique qui décide de distribuer une BD sur un salon de l’automobile. Réalisée dans la foulée de la manifestation, une étude CSA révèle « un impact positif de la BD sur l’image de Michelin » avec même « un taux de mémorisation de 92% ». Un chiffre qui pousse Michelin à récidiver. Avec succès puisque l’un des albums de la série – « La Juste Pression » – a finalement été tiré à 1,2 million d’exemplaires et traduit en une dizaine de langues (anglais, italien, allemand, tchèque, roumain, polonais, slovaque, hongrois, suédois, finnois, nigérian et brésilien)! Cet exemple reste évidemment exceptionnel et du quatre-pages au véritable album, les produits sont très variables, tout comme leur diffusion.

Un levier de communication interne

lafargesecurite.jpgLe ton de la bande dessinée convient aussi très bien à la communication interne, notamment pour transmettre des informations rébarbatives. Le message est plus visible et se retient plus facilement. Pour parler du thème peu sexy de la « certification », la caisse primaire d’assurance-maladie de Paris, qui utilisait déjà la BD dans ses pubs, a donc choisi d’appliquer la recette à elle-même. Idem chez Lafarge Ciments qui non seulement communique par les bulles auprès des populations vivant à proximité de ses cimenteries (« Que se passe-t-il dans une cimenterie ? ») mais utilise aussi depuis 2002 la BD pour sensibiliser ses salariés aux normes de sécurité. Finies les notes de services et les discours alarmistes, depuis deux ans, « D.D. »- un petit bonhomme dessiné par Nawa – a pour mission de rappeler aux salariés de mettre leurs lunettes de sécurité ou de faire attention aux fils électriques dangereux. « D.D. » est présent dans les usines, les bureaux, le journal interne « Perspectives » ou sur l’intranet. Chez Lafarge, le nombre d’accidents du travail est passé de 19 en 2003, contre 25 en 2002. Quant à la société Autoroutes du Sud de la France, elle a opté pour un album de 24 pages – « Chéri(e), j’ai rétréci mon temps de travail! » (dessin de Benoît Ers, 7.000 exemplaires) – pour parler à ses salariés de la mise en place des 35 heures.

accordmajeur.jpgEt les organisations syndicales aussi s’y sont mis. La CFE-CGC, qui a sorti en octobre 2004 « L’accord majeur », un album de 48 pages tiré à 20.000 exemplaires et réalisé par Comicstrips, en est à son 6e album depuis 1999. Librement inspirée de « La guerre des étoiles », cette BD explique l’accord national interprofessionnel sur l’accès des salariés à la formation professionnelle: la douzième planète de la constellation du Cygne est en crise, les usines ferment et faute de reconversion de nombreux salariés pointent au chômage. Le jeune Nerio est chargé de retrouver un parchemin, vieux de plusieurs siècles, sur lequel est inscrit un certain accord du 5 décembre 2003. Ce document pourrait aider les habitants de cette planète à trouver une solution à leurs problèmes…

mines-potasse.jpgOutre ses vertus pédagogiques, certains trouvent aussi à la bande dessinée des qualités « pacificatrices ». Ainsi, la Direction des Ressources Humaines a-t-elle utilisé la BD pour communiquer sur la fermeture de ses sites de production. Alors que l’opposition à la fermeture fut telle qu’elle déboucha sur la séquestration du DRH, la direction opta pour le ton bon enfant d’un album cartonné de 16 pages, « La Kali’stoire », sur des dessins d’Olivier Saive. Envoyé directement aux domiciles des mineurs afin d’expliquer la fermeture à leur famille, l’album racontait le parcours d’une famille de mineurs contraints de se reconvertir, tout en rappelant le courage et la solidarité des mineurs.

La bande dessinée à but pédagogique

retourombres3.jpgBien informer les patients et leur entourage, le challenge est particulièrement difficile dans le monde médical au jargon si hermétique au néophyte. Là aussi, la BD peut donc être très utile pour décrire efficacement les mécanismes d’une maladie par exemple. L’agence Narratives l’a bien compris, puisqu’elle a créé son unité spécialisée – Narratives Santé – qui travaillent de plus en plus avec les laboratoires pharmaceutiques. A son actif, des albums traitant de sujets aussi variés que l’acné juvénile (« L’affaire des boutons » de Anne Pruzkowski, Michel Durand, Jean-Louis Fonteneau en 2003), les TOC ou Troubles Obsessionnels Compulsifs chez les jeunes (« La menace d’Anubis » d’Elie Hantouche, Frédéric Kochman et Michel Durand, en 2001) ou les récidives dépressives dans le trouble unipolaire de l’adulte (« Le Retour des Ombres » de Henri Lôo, Frédéric Garcia et Marie-Noelle Pichard en mai 2004).

« Le Fils du Soleil en connaît un rayon » est, elle, une BD de sensiblisation tout public aux risques liés au soleil. Initiée par La Roche-Posay et parrainée par l’Organisation Mondiale de la Santé, elle a été diffusée au niveau européen à 350.000 exemplaires et traduite en français, allemand, anglais, néerlandais, grec, et espagnol. Diffusion impressionnante aussi pour « La tarte aux framboises » (Institut National de la Consommation et l’Union Européenne) avec pas moins de 1.700.000 exemplaires pour cette BD destinée à informer les 12-16 ans sur la sécurité des aliments.

baobab2.jpgL’organisation Equilibres & Populations a de son côté réalisé « A l’ombre du baobab », un album auquel a contribué une trentaine de dessinateurs africains. Objectif, sensibiliser les jeunes aux problèmes sanitaires et éducatifs que rencontrent les femmes et les enfants africains (l’excision, le sida, la violence sexuelle, la pauvreté, la souffrance des enfants, la place des femmes…). L’exposition, qui a été inaugurée dans le cadre du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en janvier 2002, a voyagé ensuite dans de nombreuses régions d’Afrique.

L’Afrique, comme la plupart des pays en voie de développement, utilise d’ailleurs particulièrement la BD en soutien des secteurs médical et éducatif. Au Kenya par exemple, la lutte contre le sida passe par les bulles. Après avoir initié un feuilleton radio très populaire sur le sujet, le Dr Kimani Njogu a lancé une bande dessinée qui renforce les messages sociaux et de santé contenus dans le feuilleton: la prévention du VIH/sida, la compassion pour les personnes atteintes du virus, et le sort des orphelins. Même sujet au Burkina-Faso avec une BD intitulée « Contre le Sida » et tirée dans un premier temps à 5.000 exemplaires.

Prix de la BD de communication à Angoulême

Connus ou non, la plupart des dessinateurs de bandes dessinées ont un jour ou l’autre travaillé pour la BD publicitaire: une collaboration indirecte lorsque leurs albums sont réédités spécialement pour une entreprise (avec son logo en couverture par exemple) ou que la licence d’un personnage ou d’une série BD est rachetée pour du merchandising; mais aussi une collaboration directe lorsque ces dessinateurs réalisent une oeuvre originale spécialement pour un client. A l’atelier Sanzot basé à Angoulême, par exemple, les auteurs se sont regroupés en association pour gérer ce type de travail. A leur actif, plus de 360 travaux de communication.

eauxblessees.jpgMême si la BD de communication est avant tout considérée comme un travail « alimentaire », il n’en reste pas moins que depuis de nombreuses années, un prix lui est réservé au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. En 1986, date à laquelle la récompense a été créée, c’est « Lutte contre le vandalisme dans les cabines publiques” de Frank Margerin qui avait été primé. En 2003, le prix était revenu aux « Eaux Blessées » (Dominique David, Cristina Cuadra et Rudi Miel) qui expliquait le rôle et le fonctionnement du Parlement européen. En 2004, Handicap International, la Ville d’Angoulême et Zep ont été récompensés pour un livret intitulé « Faut pô avoir peur ». Changeons de regard » qui met en scène Titeuf dans différentes circonstances où il est confronté au handicap.

Un coût élevé

Le développement de la BD dans la communication est toutefois freiné par son coût, en moyenne trois fois plus élevé qu’un message transmis par un texte « classique ». Les prix varient de 2.000 euros pour les droits et la diffusion d’une planche dans le journal de l’entreprise ou sur le réseau intranet, à 60.000 euros pour un mini-album cartonné de 24 pages diffusé à 20.000 exemplaires.

maraichers-nantais.jpgDe plus, quitte à investir dans la bande dessinée, il est possible comme pour les autres supports de publicités, de s’offrir des vedettes. Lucky Luke, Achille Talon ou Gaston Lagaffe sont autant d’icônes fédératrices qui incitent les entreprises à recourir aux licences BD. Les exemples sont très nombreux: Astérix pour les corn flakes Kellogg’s, les glaces Gervais ou les maraîchers nantais; Boule et Bill et Lucky Luke pour Mod8 (fabricant de chaussures haut de gamme pour enfants); Achille Talon pour Canderel, Chamois d’Or et les viandes Charal; etc.

Pour une opération classique – avec PLV, présence sur les produits concernés, etc – et employant une licence phare (Blueberry, Achille Talon, etc.), le prix moyen se situe autour de 30.000 euros. L’éditeur prélève également un pourcentage (8 et 12%) sur le volume global de l’achat d’espace publicitaire (insertions presse, affiches, etc.). Evidemment, les plus petits budgets se tourneront vers un héros de bande dessinée à la notoriété moindre (Larry B. Max de la série « I.R.$ » pour le cocktail Malibu, Luuna pour Quick, « Les maîtres de l’orge » pour le Crédit Mutuel, etc). L’essentiel étant de toute façon de choisir un personnage en adéquation avec le produit ou le thème sur lequel on veut communiquer.

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