JULES VERNE DANS LA BANDE DESSINÉE

benett.jpg

Cent ans après sa disparition, l’illustre écrivain est toujours vivant. Au cinéma et en littérature bien sûr mais aussi tout logiquement en BD, son influence est immense partout dans le monde.

Alors qu’en cette année 2005 l’on s’apprête à célébrer le centenaire de sa mort, l’occasion est toute trouvée pour revenir sur l’inflence de Jules Verne dans la bande dessinée. Un genre logiquement pas épargné par la « vernemania » – d’autant que l’oeuvre de Verne était déjà pleine d’illustrations – qui a touché la litterature, le cinéma et même les jeux vidéos. A travers cette profusion, tenter d’établir une liste exaustive serait évidemment illusoire, aussi nous bornerons nous à dresser un panorama général.

Qui est Jules Verne?

Jules Verne a écrit 80 romans ou longues nouvelles, des ouvrages de vulgarisation et treize pièces de théâtre. Une oeuvre imposante traduite en 25 langues et popularisée par le cinéma et la télévision. Parfois considéré comme un « écrivain scientifique », Verne est plutôt l’un des « pères de la science-fiction ». Nous sommes à la fin du XIXe siècle et la révolution industrielle marque l’avènement d’une littérature mélangeant la fiction d’aventure et la vision prospective d’un futur merveilleux où l’omnipotence de la science donne libre cours à l’imagination la plus débridée. Les deux pivots incontournables de cette révolution sont l’Anglais H. G. Wells et le Français Jules Verne. Dans les romans de Verne, la base scientifique est généralement solide et vérifiée (il travaillait avec des scientifiques réputés), mais cela reste un univers où tout peut arriver, parfois contraire aux lois de la physique.

benett.jpgL’écrivain est né à Nantes le 8 février 1828. Malgré des études de droit qu’il suit à Paris dès 1947, le jeune homme est davantage attiré par la poésie et le théâtre que par reprendre la charge d’avoué de son père. Alexandre Dumas accepte de monter sa pièce « Les pailles rompues » en 1850 et publie, dans la revue Le musée des familles, ses premières nouvelles: « Les premiers navires de la marine mexicaine » et « Un drame dans les airs » en 1851. A cette époque, le jeune Verne se passionne également pour la science et ses découvertes les plus récentes et se lie avec un ancien explorateur, Jacques Arago. Son roman « Cinq semaines en ballon » paraît en 1863 chez l’éditeur Pierre-Jules Hetzel et connaît un immense succès, même à l’étranger. Au départ, Jules Verne devait livrer 40 volumes sur 20 ans. En fait, Verne travaillera pendant 40 ans à ses « Voyages extraordinaires » qui compteront 54 volumes!

En 1867, il embarque sur le Great Eastern à Liverpool pour les États-Unis, voyage dont il tirera « Une ville flottante » trois ans plus tard. Jules Verne s’installe à Amiens en 1872 et publie « Le Tour du monde en quatre-vingt jours ». De juin à août 1878, Jules Verne navigue de Lisbonne à Alger sur son bateau, puis en Écosse, Norvège et Irlande en 1880. Il fait un grand tour de la Méditerranée en compagnie de son épouse en 1884. En 1886, suite à une violente dispute, le neveu de Jules Verne, Gaston, blesse l’écrivain aux jambes Il boitera le restant de ses jours. Malade du diabète, Jules Verne s’éteindra le 24 mars 1905 à Amiens dans sa maison du 44, boulevard Longueville, aujourd’hui boulevard Jules-Verne.
Plusieurs livres de Jules Verne paraîtront après sa mort, publiés par son fils Michel Verne (né en 1861 de son mariage avec Honorine Morel en 1856), qui prendra la responsabilité de remanier certains manuscrits.
Biographie et bibliographie détaillée

Gideon.jpgPlusieurs biographies de Jules Verne sont parues en bande dessinée, le plus souvent dans des journaux ou dans des hebdomadaires pour les jeunes (Spirou en 1955-56, Lisette en 1967). Mais elles sont, selon Philippe Burgaud, l’un des auteurs de « Jules Verne en 60 ans de bandes dessinées » (Editions CDJV), « en général assez simplistes mais aussi très souvent fantaisistes par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui de la vie de Jules Verne.

Les gravures des « Voyages extraordinaires »

Les romans de Jules Verne ont été publiés du vivant de l’auteur par les Editions Hetzel, puis repris par différents éditeurs, notamment Hachette en 1914. Chaque titre avait d’abord été publié dans un périodique, le Magasin d’Education et de Récréation, puis en volumes reliés. Dès l’origine, les différents ouvrages de sa série des « Voyages extraordinaires » sont très riches en illustrations: plus de 4.000 sous forme de dessins, gravures, cartes ou photos. Soit une moyenne de 60 par roman. Ces planches intercalées entre le texte toutes les six à huit pages, représentaient un support visuel puissant à côté de la fiction narrative, à la fois outil pédagogique et invitation exotique au voyage.

schuiten.jpgParmi les illustrateurs à avoir travaillé avec Jules Verne, on peut citer entres autres Edouard Riou (le premier d’entre eux), Alphonse de Neuville, Jules Ferat, Paul-Dominique Philippoteaux, George Roux et surtout Léon Benett. Ce dernier est de loin le plus important illustrateur de la série avec à son compte près de la moitié de la cinquantaine de romans publiés, soit près de 2.000 illustrations.

Dans cette liste, on ne saurait oublier non plus un certain… François Schuiten qui, en 1995, a illustré pour Hachette « Paris au XXe siècle », ouvrage posthume de Jules Verne. Ce roman achevé en 1863 avait en effet été refusé par Hetzel parce qu’il le jugeait trop futuriste. Le manuscrit est donc resté dans un coffre-fort jusqu’à ce que l’arrière-petit-fils de l’auteur le découvre en 1989. Verne y dépeint une ville polluée, peu à peu étouffée par le progrès technique, en proie à la dictature de la haute finance.

Des adaptations illustrées des romans de Verne

epinal.jpgLes premières adaptations des oeuvres de Jules Verne entièrement illustrées sont les fameuses images d’Epinal réalisées par la famille Pellerin. Trois romans ont paru sous cette forme dans les années 1880 (« Cinq semaines en ballon », « Voyages et aventures du capitaine Hatteras » et « Keraban le têtu »). L’éditeur annonce bien qu’il s’agit d’une adaptation résumée du roman avec l’autorisation d’Hetzel, comme le rapporte Philippe Burgaud dans « Jules Verne en 60 ans de bandes dessinées ». Dès le début du XXe siècle on retrouve en Espagne des adaptations des « Voyages extraordinaires » sous une presentation similaire.

classics.jpgUne autre série marquante est celle des « Classic Comics » publiés à partir de 1941 aux Etats-Unis par la Gilberton Publishing Company puis renommée « Classics illustrated » ensuite. La collection compte évidemment à son catalogue d’adaptations d’oeuvres littéraires en BD les romans de Jules Verne comme « Michael Strogoff », « Around the world in 80 days », « The Mysterious Island » ou « 20.000 leagues under the sea ». Ces deux derniers romans seront aussi publiés dans les années 70 chez Marvel Classics Comics. La plupart des adaptations américaines ont été reprises dans divers pays d’Europe, notamment en Suède, Damemark, Pays-Bas et Grèce mais c’est en Espagne à partir des années 1970 que le plus grand nombre de titres est publié grâce aux éditions Bruguera qui ont fait paraitre la quasi totalité des romans de Jules Verne.

marvel.jpgEn France aussi, les adaptations sont légion et la liste serait interminable: « L’île mystérieuse » de Franco Caprioli (Editions du Domino, 1976), « Voyage au centre de la terre » de Renato Polese (Sagedition, 1978), « Le tour du monde en 80 jours » d’Yvon Le Gall (Editions du chat perché, 1980), « Voyage au centre de la terre » de Claude Laverdure (Lefrancq,1978), certains titres signé de Marcel Uderzo, frère cadet de («Vingt mille Lieues sous les Mers», «L’Ile mystérieuse» et «De la Terre à la Lune» (Ed. Connivence), « Le Serpent de mer » et « Le Secret de Wilhelm Storitz »de François Bourgeon pour l’hebdomadaire Pif, etc. Le Journal de Mickey publie aussi en feuilletons les adaptations des « Enfants du capitaine Grant » et « Vingt Mille lieues sous les mers ». A noter d’ailleurs que Disney a été l’un des plus gros adaptateurs de Jules Verne, au cinéma également ou avec les attractions de ses parcs.

Même si ces adaptations visent à rester proches de l’original, parce qu’elles font appel à autant de dessinateurs, de supports et d’époques différentes, elle se différencient souvent les unes des autres ne serait-ce que par de petits détails. Ainsi, le site « Modelstories », spécialisé dans l’histoire des maquettes, nous fournit-il un exemple intéressant de différentes versions de l’Epouvante (combiné de voiture, de sous-marin et d' »aviateur »), un engin décrit par Jules Verne en 1904 dans « Maitre du Monde » et censé être vert.
bande.jpg

Des inspirations verniennes plus ou moins évidentes

Mais plus que les adaptations fidèles, ce sont les variations autour de l’œuvre de Jules Verne qui sont les plus intéressantes. Dès 1947 parait en Italie une bande dessinée intitulée « Saturnino Farandola contro Fileas Fogg » (Pedrocchi et De Vita), pastiche fantaisiste du « Tour du monde » et des « Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul » d’Albert Robida en 1879 (un roman déjà lui-même parodique des héros de Verne).
ligue.jpgDe très nombreux artistes ont puisé dans la force créative de Jules Verne pour alimenter leur oeuvre, créant souvent du même coup un nouveau courant. Né dans des années 80, le « steampunk » qualifie des oeuvres de science-fiction prenant la plupart du temps pour cadre l’Angleterre victorienne du XIXe siècle. Ces récits – y compris des bandes dessinées – se plaisent à mettre en scène des inventions délirantes, des machines fabuleuses et toute une batterie de références typiquement verniennes. « La Ligue des gentlemen extraordinaires » scénarisée par Alan Moore et dessinée par Kevin O’Neill en 2001, dresse ainsi un portrait au vitriol de l’époque victorienne à travers les aventures d’une équipe de superhéros constituée de personnages illustres (le capitaine Nemo, Dorian Gray, Mister Hyde, l’Homme invisible, etc.). Edgar P. Jacobs, a préfiguré les délires steampunk en montrant ses héros Blake et Mortimer aux prises avec des continents oubliés et des engins fantasmagoriques. De même, à la fin des années 70, Tardi crée un personnage, Adèle Blanc-Sec, dont l’univers peuplé de savants fous et de créatures étonnantes doit beaucoup à Jules Verne. tardi.jpgLe même Tardi avait dès 1974 imaginé « Le démon des glaces » (Dargaud) qui s’inspire entre autres des « Voyages et aventures du capitaine Hatteras », de « 20000 lieues sous les mers », du « sphinx des glaces et de « Face au drapeau » dans un style graphique rappelant les gravures des albums de Jules Verne. « Le rayon vert », version moderne dramatique de « La recherche du rayon vert » a été publié en 1986 par Frédéric Boilet chez Magic-Strip.

Comme adaptation notable, il faut aussi citer « Mystérieuse matin, midi et soir », de Jean-Claude Forest, album né à partir des personnages et des situations conjuguées de son oeuvre « Barbarella » et de « L’ile mysterieuse » de Verne. Quelle est donc cette île en forme de point d’interrogation sur laquelle notre petit groupe de personnages vient de faire naufrage? Alors que le roman de Verne se passe sur Terre, Forest a transposé l’histoire sur une autre planète peuplée de monstres, robots et créatures inquiétants dont nos héros vont devoir se défendre. L’apparition de Barbarella (à la place du capitaine Nemo) dans le dernier épisode sera jugée trop scandaleuse par l’hebdomadaire communiste Pif qui refusera de faire paraître ce 3e volet pour cause d’« imagination excessive ». Mysterieuse.jpgL’intégralité de la BD sera toutefois publiée dans la revue italienne Linus, puis en France aux éditions Serg en 1973 et enfin chez L’Association en 2004.

La série des « Cités obscures », de François Schuiten et Benoît Peeters, commencée à l’orée des années 80, fait montre également d’un goût certain pour les mondes rétro-futuristes: « La route d’Arilia » de Schuiten et Peeters (Casterman 1988) – qui raconte le voyage en dirigeable de deux enfants – présente des allusions à Jules Verne; dans « L’écho des cités » (Casterman 1993), les deux auteurs racontent l’histoire d’un journal dont le directeur est Michel Ardan, journaliste et héros vernien de la conquête lunaire. Schuiten ne cache pas son influence. neptune.jpgDans une interview à L’Express, il déclarait d’ailleurs: « lorsque je dessine un dirigeable ou un sous-marin, je suis un enfant de Jules Verne, car c’est lui qui, le premier, a porté un regard lyrique sur le monde industriel. Avec mon scénariste, nous l’avons même fait vivre comme personnage dans notre album « L’Enfant penché ».

Vu le nombre d’auteurs de BD, héritiers de Jules Verne, il n’est pas étonnant que le Festival du Film Jules Verne qui a lieu chaque année au Grand Rex à Paris ait créé un Jules Verne Award de la meilleure bande dessinée fantastique. Le lauréat 2004 était Kevin O’Neill (« La Ligue des gentlemen extraordinaires »). En 2005, les nominés pour le prix qui sera décerné le 10 avril prochain, sont: « Bluehope » (Serge Meirinho et Thibaud de Rochebrune), « Hauteville House » (Fred Duval, Thierry Gioux), « Kenya » (Rodolphe et Léo), « Le régulateur » (Corbeyran, Eric et Marc Moreno), « Le Neptune » (Jean-Yves Delitte), « Pest » (Corbeyran, Amaury Bouillez), « Robur » (Randy & Jean-Marc Lofficier, Gil Formosa), « Sanctuaire » (Xavier Dorison, Christophe Bec).

Le cas Hergé

riou.jpgOn ne saurait parler d’inspiration sans évoquer Hergé. Il suffit de comparer « De la Terre à la Lune » et « Objectif Lune » pour se rendre compte qu’il y a du Jules Verne dans le père de Tintin. Dans « Tintin chez Jules Verne », Jean-Paul Tomasi et Michel Deligne mettent en parallèle des illustrations de Verne avec les cases d’Hergé pour souligner les correspondances entre elles alors même que Hergé, interrogé sur ses lectures de jeunesse, répondait « Jules Verne, néant ». Cet ouvrage a, à sa sortie, suscité la polémique: peut-on traiter Hergé de copieur et menteur alors que tous les archétypes créés par Jules Verne étaient depuis longtemps devenus des mythes littéraires et cinématographiques faisant partie intégrante de l’imaginaire collectif?
Pour reprendre l’exemple d' »Objectif Lune » (1953), l’album paraît alors en plein engouement pour les voyages spatiaux, grâce à l’arrivée des nouvelles connaissances et de la technologie dans les années 50. Une véritable « course de l’espace » s’engage entre les les Etats-Unis et l’URSS.

Consciente ou non consciente, l’inspiration vernienne d’Hergé est néanmoins incontestable et l’on trouve des types de personnages assez proches, comme le savant farfelu (Tryphon Tournesol et Palmyrin Rosette dans « Hector Servadac ») et les policiers qui pensent avec le même cerveau (les frères Dupont et Dupond et les agents Craig et Fry dans « Les tribulations d’un Chinois en Chine »); mais aussi des similitudes de scénarios: « L’étoile mystérieuse » évoque « La chasse au météore » de Jules Verne, L’étoile du Sud, le sous-marin révolutionnaire de Tournesol dans « Le trésor de Rackham le Rouge pourrait être le Nautilus. condor.jpgDans « Les enfants du capitaine Grant », Robert Grant est capturé par un condor Milou vivant la même mésaventure dans le « Temple du Soleil ». Quant au diptyque des aventures de Tintin, « Objectif Lune » et « On a marché sur la Lune », ne serait-il pas calqué sur « De la Terre à la Lune » et « Autour de la Lune »? Outre les titres, on trouve de nombreuses similitudes d’anecdotes (la marque de whisky préférée du capitaine Haddock, Loch Lomond, est le nom d’un lac écossais cité dans « Les enfants du capitaine Grant ») et de dialogues. Coïncidences troublantes, je dirais même plus: troublantes coïncidences. Et quand bien même?… Jules Verne aurait pu trouver bien pire ambassadeur….

A noter qu’à l’occasion du lancement officiel de l’année Jules Verne, la Ville de Nantes a mis en ligne un site Internet entièrement consacré à l’écrivain nantais et aux événements proposés par la Ville à l’occasion du centenaire de sa disparition. Le site va proposer des manuscrits numérisés de la bibliothèque municipale de Nantes. D’autres sont également accessibles sur la Classic Literature Library.

Share